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11/08/2023

L’Intranquille 24, revue, littérature

intranquille24.jpgL’entretien, cette fois, concerne un éditeur, Antoine de Kerversau, interrogé par Françoise Favretto et Barbara Savournin. Trois pages de récits et de réflexions, faisant une sorte de bilan d’une longue aventure éditoriale, avec une série de créations d’éditions diverses. Aventures et parfois mésaventures, mais toujours passion. Parmi les formes éditoriales, ce qu’il considère comme des livres très à part, caractérisés par le signe Label d’art (des livres imprimés, mais en typo manuelle au plomb). Une phrase résume le sens donné à cela : Un livre publié qui existe agrandit le monde. Et deux autres définissent l’éthique de la démarche : J’ai toujours privilégié la découverte sur l’exploitation et la gestion. Pas de soumission ni de freins intempestifs, que la liberté absolue.

 

Traductions, ensuite. Jeune poésie italienne, poèmes traduits par Benoit Gréan. J’en relève des extraits, sélection subjective, comme toujours…


.

De Flaminia Rocca, le poème Cloueuse (exode impropre) :

J’ai recherché la mer

aspirant à la terre.

J’ai trouvé 

seulement –

un ciel

avec œil de Cyclope

droit sur moi

dont le nom est Personne,

et je flotte

vieux bouchon fatigué

tout imprégné de honte

à se fendre à moitié

.

D’Antonio Francesco PerozziHypothèse pour une détonation :

Il faudrait répandre de la tolite

sous l’écorce des langues 

et déserter enfin

ce code d’honneur

qui nous facilite les gestes

intelligibles par la grâce de la mort

.

Artisan confus :

Je suis

un artisan confus

le diapason d’une matière

l’exacte pensée du cosmos

Je possède

une fantastique intuition de Dieu

le vers comme authentique tragédie

le vers comme seul moyen

.

Après des pages d’une création à deux (dessins de Michel Vautier et textes de Jérôme Villedieu), M. La Mandragore, et quatre pages d’un essai de lexicologie anglaise, jurons et argot de Londres (Orwell), des auteurs à découvrir.

De Barbara Savournin, Réalité objective. Un texte qui, justement, traite de réalités peu objectives. Pratiques occultes et mystères divers autour d’une étrange histoire de casserole de pâtes.

Édith Msika, dans Archéologie du millénaire nouveau (2002-2004), énonce des intentions d’actes à poser. Infinitifs…

Liens :

Faire et défaire des liens.

Développer l’attente. Lier, relier, délier.

Reste :

Transformer le réel en symbolique.

Faire des films.

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Le dossier de ce numéro est sur L'aléatoire.

Avant de lire ce que cela aura pu produire comme écritures autour de ce terme et thème, il est nécessaire de se rappeler le sens de ce mot, et ce qui l’en distingue du hasard.

Hasard, étymologiquement, vient de l’arabe az-zhar, jeu de dés. On associe au hasard l’idée d’une puissance mystérieuse qui provoque des événements sans que les êtres qui les subissent - ou les vivent au contraire  avec bonheur - en soient acteurs conscients. Cela arrive et on ne sait comment et pourquoi. (Mais il y a, sur ce sujet, bien des hypothèses et croyances ou analyses).

Aléatoire vient du latin, alea, coup de dé. Ce n’est pas très loin, mais le terme est connoté un peu autrement (plus de destin dans le hasard, plus de jeu dans l'aléatoire). L’aléatoire, en création, musicale ou littéraire, introduit volontairement des faits de hasard, de manière codifiée. Et, pour des textes, l’utilisation d’Internet, et maintenant de l’Intelligence artificielle, ouvre la porte à des « facilités » pas toujours intéressantes. Mais c’est tout un débat.

L’aléatoire utilise donc le hasard mais n’est pas exactement le hasard.

Du dossier je retiens d’abord le texte de Christian Cavaillé, Aléatoires rencontres, qui, en trois pages, développe une réflexion qui s’appuie sur des références précises, avec une réelle maîtrise du sujet. Il donne des exemples de créations ayant provoqué le hasard et utilise des données scientifiques et des probabilités mathématiques pour approfondir l’analyse. Évidemment il mentionne L’Oulipo. Mais il cite aussi Arthur Rimbaud (l’éther sans oiseaux), Samuel Beckett (Essayer encore. Rater encore. Rater mieux.), Héraclite (s’il ne s’attend pas à de l’inattendu / hors de toute atteinte et de toute attente / il ne le découvrira pas), et mentionne divers auteurs, comme Lautréamont et Baudelaire.

Et, suivant la citation d’Héraclite, en écho au poème de Baudelaire (À une passante), sur le hasard d’une rencontre, qui adviendra ou pas (selon ce que dit Héraclite), il écrit :

ni l’encontrée aux multiples prénoms

la rage de dire la rage ne te passe pas

et passe écoute des pas dans les feuilles

les mots dans la peau les mots en haleine

Oui, justement, la peau, l’haleine, le corps qui écrit. Ou la différence avec les jeux d’ordinateur, même si le corps et l’inconscient qui écrit captent le hasard et l’aléa. Mais différemment d’une machine.

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Victoria Rouëssé, dans un poème, Poétique mathématique, interroge ce que l’aléa peut signifier pour nous-mêmes, notre existence, sa nature :

Chaque individu est donc armé d’un double (Connu ? Invisible ? Mystérieux ?)

à moins que… virtuel

et tout visage dans ce monde

est le reflet d’un autre

imaginaire ?

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Franck Smith, propose un exercice de langage, Opération spéciale, qui liste tous les mots et expressions qui sont le répertoire tragique de la guerre infligée par la Russie à l’Ukraine. Il introduit cette triste litanie révélatrice ainsi :

« Opération spéciale » propose le déploiement cumulatif d’expressions langagières dont la charge est de dire et décrire le conflit au quotidien qui sévit actuellement en Ukraine. […] Il inventorie et rassemble les corps imprimés de l’histoire en train de se faire et l’histoire en train de ruiner les corps des hommes.

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De Céline De-Saër, De faille et de cairn (un ample poème de quatre pages). Citation :

Nous sommes enfants sans frontières : terre aléatoire

Nous, inattendu           univéternel

Terres de souffles

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De Nicolas Vermeulin, Trajectoires (texte d’un peu plus de cinq pages). Extrait :

Des images à se tordre, devenues d’un pourpre écarlate, qui cloquent et s’embrasent. Dans cette masse, une vue d’un instant suspendu, disparu, de dos, tu regardais chaque grain de sable, tu savais où tu allais.

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Un poème d’Isabel Voisin, Alea jacta est. Fragment :

Lorca, Juan Breva, Ernestine de Champourcin, Rosa Chacel, Altolaguirre, Concha, Alberti —   cinq minutes sans tout traduire et sans présentation. Écrire / face aux morts — il faut une solitude extrême.

                                                L’encre te recouvre

                                                son ombre t’ensevelit

                                                silence nocturne

.

Après ce dossier une page d’hommage à un revuiste décédé, Daniel Delort, de la revue Brèves (publication de nouvelles). Martine Delort, qui a cofondé la revue avec lui, va poursuivre ce travail éditorial.

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Enfin, les recensions.

Jean-Pierre Bobillot présente deux livres.

--- L’Histoire splendide, de Guillaume Basquin (éd. Tinbad, 2022). Une somme historique. Les faits et les dessous des faits. Ouvrage, dit-il, polyphoniquement ambitieux et dont la lecture renverse sans ménagement bien des croyances.

--- Un vernis sur le néant, de Jean-François Bory (éd. Terracol, 2022). Livre, est-il expliqué, qui est à la fois l’énoncé d’une pensée sur l’écriture (enjeux, difficultés, et failles), d’une part, et une recherche de traces formelles à inscrire, non comme surcharge gratuite mais pour donner un sens enrichi.

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Françoise Favretto parcourt de nombreux titres de livres et revues. Je ne peux tout noter. Sélection…

--- D’Édith Msika, pipelette dancing (éds. Louise Bottu). Poésie dont il est dit qu’il faut accepter de ne pas comprendre, l’univers (tant d’écriture que fantasmatique) inscrivant l’étrange.

--- Il est fou, de Guy Lévis Mano (éd. Quiero). Réédition d’un livre publié en 1933, à peu d’exemplaires. Cet auteur fut aussi un grand éditeur (édition GLM). Bonne initiative que cette réédition.

J’ajoute que l’Association Guy Lévis Mano continue de faire connaître son œuvre de poète et d’éditeur. René Char, qui fut publié par GLM, a rendu hommage à l’éditeur dans la préface qu’il rédigea pour le catalogue de 1956 (texte publié depuis par Gallimard, Dans L’atelier du poète, René Char, coll. Quarto, 1996). La fiche Wikipédia sur GLM cite un fragment (texte intégral dans le livre) :

Lorsque la passion de donner l'existence à un recueil de poèmes s'unit à la connaissance de la poésie et de l'art d'imprimer, cela nous apporte d'admirables réussites et rétablit l'objet dans sa plénitude durable. Guy Lévis Mano est le seul aujourd'hui qui satisfasse à ce souci hautain. Il y consacre sa foi, sa compétence, sa générosité et son enthousiasme. [...] L'oasis G.L.M. sur la carte de la Poésie, c'est l'oasis des méharistes de fond ! 

Il existe une anthologie des textes de Guy Lévis Mano, coll. Poètes d’aujourd’hui, Seghers. Par Andrée Chédid et Pierre Torreilles, 1974, 1990.

Site de l’Association GLM : http://www.guylevismano.com/

--- Cracher le silence, d’Élodie Lousteau (éds. Rosa Canina). Poésie, sur les perceptions. De la poète, Françoise Favretto dit qu’elle se trouve vraiment portée (mot qu’elle souligne).

--- Un collectif, L’édition indépendante au féminin, premiers instantanés (co-dir. Marie Virolle et Sophie Anquetil, éd. Marsa. Publication de présentations issues des Rencontres d’éditrices de Limoges en 2022.

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Bernardo Schiavetta a lu L’Échappée lyrique des damnés de la mer, un essai de Jean-Jacques Thomas sur l’œuvre de Joël Des Rosiers, poète canadien né en Haïti. Écriture inscrite dans la lignée d’Aimé Césaire, est-il indiqué.

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SITE de L’Atelier de l’agneau : https://atelierdelagneau.com/fr/

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