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30/01/2011

Un Balcon sur la mer, film de Nicole Garcia

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Dans le TGV magazine de décembre-janvier 2011, j’ai lu un entretien intéressant dont je choisis deux passages, pour compléter cette note sur cet excellent film (Nicole Garcia répond à Olivier Boucreux). « Quand on retourne sur un lieu de son enfance après un exil, on retrouve un peu de cette enfance à jamais perdue. Et c’est déchirant. » (…) Et, parlant  de la tristesse de la génération de ses parents : « L’Histoire a été sévère avec cette communauté que l’on a appelé plus tard les Pieds-Noirs. » (J’ajoute la majuscule, puisque c’est une identité collective…).

 Sur le site telerama.fr  on peut lire un long et passionnant entretien (et voir des vidéos) : http://www.telerama.fr/cinema/nicole-garcia-en-compagnie-des-ombres-1-2,63544.php « J’étais déjà retournée à Oran pour des voyages officiels, et j’avais ressenti une émotion étrange, très animale. Ni romantique, ni nostalgique. Plutôt le sentiment violent d’un temps à jamais perdu. Comme une déflagration. »

Dans cet entretien Nicole Garcia évoque son rôle, comme actrice, dans le film de Laurent Heynemann, « La Question »    (à partir du livre d’Henri Alleg), participation nécessaire et difficile (du fait des confusions faites entre l’armée française et les Français d’Algérie dans divers courants de l’opinion).  Occasion pour elle d’un retour sur mémoire, déjà, d’un retour dans le pays de l’enfance. Elle précise aussi, pour son dernier film, l’importance de Jacques Fieschi, son coscénariste, lui aussi originaire d’Algérie, et attaché à cette origine de manière plus tripale, et qui, dit-elle, l’a plongée dans l’eau de ce sujet (situer cette histoire de double dans l’arrachement de l’exil) comme on jette dans une piscine. Parce que, certainement, la résistance est grande. Et d’autant plus grande que la douleur enfouie est forte ? Elle parle du silence de son père, de l’origine espagnole, de la fuite de la langue du père.

A lire, critique de Télérama, 18-12-10, par Guillemette Odicino : http://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:vwrjOCgddFAJ:www.telerama.fr/cinema/films/un-balcon-sur-la-mer,418551,critique.php+un+balcon+sur+la+mer+telerama&cd=2&hl=fr&ct=clnk&gl=fr  « Un Balcon sur la mer, le sixième film de Nicole Garcia, est un retour aux sources pour cette cinéaste d'origine oranaise. Et ce qui l'intéresse, dans cette histoire de passé retrouvé, c'est le vertige. Celui que l'on ressent en se penchant d'un balcon sur lequel on aura, trop longtemps, refusé de monter. »

Voir aussi synopsis et vidéo : http://www.telerama.fr/cinema/films/un-balcon-sur-la-mer,418551.php    

Lire aussi les critiques diverses de cette revue de presse : http://www.allocine.fr/film/revuedepresse_gen_cfilm=145167.html

Je sais que certains lui ont reproché de n’avoir montré qu’un attentat de l’OAS (la petite fille qui meurt, et qu’aimait, enfant, le personnage principal, était la fille d’un communiste indépendantiste : un attentat OAS les avait tués, et cette mort avait été cachée au petit garçon amoureux, déjà traumatisé par l’arrachement à son pays de naissance). Ainsi ce film est démonté par un blogueur  (qui pourtant sur son site dénonce aussi des crimes de l’OAS, ailleurs) : voir les liens ci-dessous. Car il ne comprend pas pourquoi  le scénario retient un attentat (fictionnel, ici, mais s’inspirant de faits réels) et pas d’autres, ne faisant aucune allusion au massacre du 5 juillet 1962 à Oran, par exemple, massacre qui a traumatisé toute une ville (et que des Oranais algériens qualifient de génocide dans le documentaire de Jean-Pierre Lledo  «Algérie, histoires à ne pas dire » : voir la bande-annonce du film et des critiques dans les liens de ce blog, albums, et vidéos).  

Je ne ferai pas du tout les mêmes reproches à ce film. Le but n’était pas de réaliser un documentaire équilibré sur les torts des uns et des autres, ou de rentrer dans des débats historiques, ou de traiter du terrorisme (FLN ou OAS). Le sujet était d’abord le thème du double, soutenu par la question de l’exil (dont le traumatisme crée forcément une dualité intérieure, et nourrit donc ce déchirement identitaire de l’individu). Si le scénario avait intégré d’autres problématiques le film aurait dévié et le sujet n’aurait plus été traité : il aurait perdu sa part d’universalité. Et cela aurait été bien dommage. C’est donc, pour moi, un film qu’il faut voir et soutenir. Elle ne parle que d’un attentat OAS ? Mais d’autres n’en parlent jamais : ça équilibre… 

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