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27/11/2022

Voilà comme j’étais. Sade par Marie-Paule Farina

marie-paule farina,voilà comme j'étais,éditions des instants,biographie,sade,nathalie de courson,jean-françois mézil,livres,citationsCette opiniâtreté qui fait l’écrivain, cet « envers et contre tout », cette énergie, cette bonne humeur persistante sont aussi ceux de l’autrice dès le sous-titre en forme de « nonsense » : « Autobiographie posthume »

Nathalie de Courson, recension (blog Patte-de-mouette) du livre de Marie-Paule Farina

Quel roman que sa vie, dites-vous ! Roman vraiment ? Pas pour lui : "Et que l'on ne me dise pas que mes romans sont terrifiants, ce sont des romans, et dans les romans comme dans les baraques foraines, on ne tire qu'à blanc !"

Jean-François Mézil, recension, La Cause littéraire

Avec cette autobiographie fictive, vivante et documentée, Marie-Paule Farina offre, "de l'intérieur", des perspectives originales sur la vie, la pensée et l'écriture de Sade. (4ème de couverture, extrait).

J'ai lu attentivement la recension de Nathalie De Courson, puis celle de Jean-François Mézil, après avoir achevé la lecture du livre de Marie Paule Farina. Recensions de qualité pour un livre de qualité (belle écriture), dont l'auteur (je garde, moi, le masculin au neutre implicite...) écrit avec une telle maîtrise de son sujet qu'elle semble l'intime du personnage réel. J'ai surtout lu par curiosité et intérêt pour celle qui écrit, car les pages du Sade hors de ce livre me tombent des mains (en matière de sexualité ou érotisme je préfère lire Henry Miller, de loin, avec la fougue de sa passion vitale). Marie-Paule Farina a une écriture fluide, qui semble venir facilement, comme s'il n'y avait pas eu, avant, tout un travail de lecture et d'étude, commencé d'ailleurs dans ses ouvrages précédents. 


Je vois, lisant, ce qui l'intéresse chez ce Sade que je n'apprécie pas. Une sorte de libertaire révolté, fou d'écriture. Mais je ne peux, pour ma part, ne pas penser à ces prostituées qu'il s'amusa à effrayer ou battre (lui, considérant que sa jouissance avait besoin de cela et que c'était excusable car affaire de tempérament, jusqu'à faire fabriquer les outils adéquats par un charpentier, et prévoir les baumes pour les plaies...). Il aurait, avec les mêmes tendances, sans doute eu aussi des ennuis dans la société de notre siècle et de ces dernières années, et peut-être goûté de la prison moderne... (Même s’il a sans doute été persécuté pour des raisons idéologiques et des fanatismes pas plus respectables que les faits que l’on peut lui reprocher). Un aristocrate utilisant à l'occasion les privilèges de son rang et très occupé de lui-même, aussi. Il se moque de ce qu'il appelle la "vertu", y voyant un ridicule de frustrés. (Cependant, de quelle « vertu » parle-t-il ainsi ? Est-ce vertu pudibonde et mortifère de gens qui refusent la vie même pour les autres, au nom des morales données pour être celles des religions (comme les divers ayatollahs actuels d’Iran ou d’ailleurs) ? Ou éthique de ceux qui refusent qu’on utilise et méprise des êtres, y compris des prostituées ? N'y a-t-il pas chez lui une sorte de frustration, d'impuissance à vivre le désir autrement qu'associé à des fantasmes violents, on peut le penser, selon ses propres déclarations...

Et pourtant il a réussi à fasciner une lectrice avisée, dont la formation est philosophique (et à qui on ne pourrait faire le reproche d'être indifférente aux droits des femmes...). Pour chercher en lui les parts de lumière que les ombres cachent bien...

J'ai remarqué et apprécié l'exergue. Alice, celle De l’autre côté du miroir, se saisissant du crayon du roi (personnage théâtral, figure de jeu) pour écrire à sa place, citation que Marie-Paule Farina reprend à la fin de son ouvrage, en inversant le sens, puisque le livre fait dire Je au Sade censé écrire son autobiographie avec le crayon que lui rendrait sa biographe et spécialiste. 

Ayant lu, ce que je retiendrai c'est la complexité de cet être, comme de tout être. Le refus de juger de celle qui parle pourtant aussi des failles du personnage. Et au bout du compte, avec ce message, le livre vaut d'être lu. 

J’ai cité en exergue des passages de recensions de deux commentateurs que j’apprécie, pour les lire régulièrement. Volonté de rester libre de comprendre cet ouvrage à ma façon, sans trahir l'intention de la biographe, et en gardant ma distance critique devant l’auteur et le personnage vivant qui écrivait. Et désir de compléter mon regard (tel que noté ici), par ceux de lecteurs qui adhèrent au charme (problématique pour moi) du sieur Sade... ou qui disent surtout ce qu’est pour eux cette œuvre littéraire.

Il a aussi le défaut (pour moi) de ne pas aimer la mer, cet univers de beauté... Et de dire le contraire de ce qu'affirmera bien plus tard René Char, sur la qualité du poète (mesurée aux pages non écrites, à la capacité de ne pas tout garder des flux d'écriture, et même de réduire ce flux). Sade trouve cela stupide. Donc Char stupide par avance, bien avant que celui-ci naisse et écrive... (Pour moi c’est le comble…).

Il y a aussi, dans mes réticences, le fait que souvent, et depuis des années et des années, j’ai vu un trio de noms, mentions systématiques, répétitives, de lecteurs qui en faisaient des références incontournables, comme si ces trois noms étaient le sommet de toute littérature et pensée : Sade, Céline, Heidegger. Goût de la transgression pour la transgression ? Fantasmes violents de l’un, pamphlets antisémites immondes et collaboration active de l’autre, et enfin adhésion au parti nazi et participation à la théorisation de la haine antisémite du troisième (c’est maintenant documenté). De tels noms associés, on se demande ce qui motive… Mais Céline n’est pas ici dans les références de la biographe et de ses deux lecteurs, très nettement non… !!! Totalement à l'opposé de leurs options. Autre univers de pensée. Le trio de noms est donc cassé. 

Mais les citations que j’ai choisies de noter ici seront une présentation de l’ouvrage qui restituera le mieux ses qualités… Voici (Sade parle, à travers le crayon de Marie-Paule Farina, une Alice passée à travers le miroir du temps…). Mais le vrai Sade n'est-il pas plutôt celui que Camus rend responsable de légitimer la terreur ? Voir, fin de note, l'exposition de cette analyse.  

p. 11. Rédiger des confessions, des mémoires, il faut réserver cela à la vieillesse, quand l’imagination est tarie, la mienne est bien vivante et pourtant j’éprouve une sorte de besoin de me raconter.

p. 17. Je sens souvent la folie me venir. C’est dans ma pauvre cervelle, un tourbillon d’idées et d’images où il me semble que ma conscience, que mon moi sombre comme un vaisseau sous la tempête. (Passage que l’auteur glisse chez Sade en le prenant à Flaubert, comme elle le dit dans sa postface, car la part de fiction aide à faire un portrait vrai, à révéler).

p. 30. Ceux qui auraient voulu un portrait de moi, l’auraient trouvé dans l’une de ces 120 journées, le vingt-troisième jour de novembre, jour de la Saint-Clément. Un portrait de moi, au noir, cynique, comme celui du moine Clément dans Justine.

p. 66. Il ne faut pas s’écrire. C’est mauvais à tout âge. La rumination ne donne que de l’aigreur. Mais on dit aussi, et depuis bien longtemps, que l’écriture rend les âmes oublieuses.

p. 95. J’aurais pu faire tant de choses que je n’ai pas faites mais nous ne pouvons pas corriger notre vie comme un brouillon attendant d’être mis au propre (…).

p. 171. (…) Tout ce qui m’a concerné n’a été que l’ouvrage du fanatisme des imbéciles dévots et de la grossière imbécillité de leurs séides…

p. 235. J’ai été la malheureuse Justine privée de toute information et de toute ressource et condamnée à deviner et à anticiper dans la douleur le sort que ses bourreaux lui réservaient ; mais j’ai été aussi, une plume à la main, la folle et rieuse Juliette tirant de son imagination une source continuelle de plaisir.

p. 250. Je suis parfaitement sain d’esprit mais j’ai des passions violentes auxquelles il me faut trouver des dérivatifs sous peine d’être physiquement malade.

Et enfin, dans la postface, elle écrit (p. 276) : Sade se peint très rarement de profil, j’ai donc essayé moi-même de le peindre de face en ayant constamment en tête la phrase de Vauvenargues : « À quoi bon rendre malheureux ceux qu’on ne peut rendre bons. »

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Ce que CAMUS pense de Sade. (Et qui correspond à ce que je perçois de malsain chez cet auteur. Pas seulement malsain de manière privée ou littéraire, mais dans une chronologie théorique qui choisit de penser CONTRE l’éthique.)

Jeanyves Guérin expose très clairement ce que Camus présente dans L’homme révolté. Et Sade est ramené, avec raison, à ce que signifient réellement ses jeux de fantasmes et ses pratiques de terreur (la prostituée fuyant dans la nuit, terrorisée, ce n’est pas un jeu de séduction fantasmé pour des pages…). Trois noms, trois responsables (Sade, Saint-Just, Hegel) : l’histoire du terrorisme a des racines.

Ce qui rejoint pour moi trois autres noms souvent associés par certains des lecteurs qui les apprécient :

Sade, Heidegger, Céline.

Jeanyves Guérin (Noces de sang. Albert Camus, revue EspritTerrorismes, oct./nov. 1984) :

« L’homme révolté. Ce livre relate la perversion de la révolte moderne et propose une généalogie de la terreur. Tout part, pour Camus, du XVIIIè siècle. On doit à Sade une légitimation libertine du terrorisme individuel et à Saint-Just une légitimation révolutionnaire du terrorisme étatique. Puis vient Hegel qui historise les valeurs et déprécie l’éthique au profit de l’efficacité. »

Lien, le numéro de la revue… https://esprit.presse.fr/article/jeanyves-guerin/noces-de-sang-albert-camus-30398

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Recension © MC San Juan

LIENS…

Recension, par Nathalie de Courson, blog Patte de Mouettehttps://patte-de-mouette.fr/2022/11/09/le-marquis-de-sade-de-marie-paule-farina/

Recension par Jean-François Mézil, La Cause littérairehttp://www.lacauselitteraire.fr/voila-comme-j-etais-marie...

Page de l’éditionÉditions des instantshttps://editionsdesinstants.fr/14738-2/

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