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Michel Lamart, Carnet d'Eire, Encres vives

Lamart.jpgJe commence, avec ce volume, une série de recensions d’Encres vives…  Poésie.
 
Michel Lamart, Carnet d'Eire, 371ème lieu : Irlande, Encres vives, 2018
 
Eire, Irlande… Ou lecture d’un "vert écrin", ses routes 
"Comme autant de possibles
  Inexplorés"
Lisant, avec l’impression de pénétrer dans un univers que je ressens comme exotique, si étranger à mes lieux… 
Et de page en page je découvre deux recueils en surimpression. Il y a d’abord  le voyage dans ce territoire dont je ne sais rien, la description des lieux de ce… lieu (comme indiqué pour cette série de lieux d’Encres vives). 
Monde d’eau.
Pluie, mer, brume, brouillard, lacs, onde, lames, vagues, quais. Évidente série sémantique qui peint un univers. 
Les couleurs sont d’eau et de feuillage. Les "eaux turquoises" de l’océan, le "vert écrin" fait de forêts. 
On voyage, on regarde, à travers l’œil de l’auteur. 
Mais on est ailleurs autrement. 
Dans la pensée qui cherche un espace épargné par les pièges de nos territoires, la beauté contre l’argent... 
"Du vieux monde
 Dont l’épave
 Gangrenée par l’argent
 Fait eau
 De toutes parts"
Pas la même eau, là…
 
On est ailleurs, aussi, dans le parcours où les écrivains et penseurs sont présents, le passé de leur passage encore perceptible. 
Wittgenstein "relisant / Saint Jean de la Croix". Et, bien sûr, à Dublin, "Wilde / Beckett et Joyce / À nos trousses". 
 
Mais, autre écriture, le poème évoque, toujours à Dublin, 
"Le  Livre de Kells"
 qui 
"Brûle de tous ses feux
 Enluminés"
Ce manuscrit extraordinaire, conservé depuis sa création (vers 800, croit-on), déplacé pour être sauvé, d’abord d’Écosse en Irlande, à Kells, d’où son nom, puis à Dublin. 
Pour comprendre ce que le poème nous dit, il faut rechercher ce qu’on sait de ce livre fabuleux et de ses extraordinaires enluminures. (On peut en trouver des reproductions en ligne, c’est magnifique).
Immédiatement je pense à Jean-Luc Leguay, à son livre, Le Maître de lumière. Fascinant récit d’initiation d’un danseur chorégraphe devenu enlumineur, pour avoir, comme Michel Lamart, été contempler d’anciennes enluminures. Cela éclaire le poème qui mentionne Kells. 
Car transparaît la fascination troublée de l’auteur devant ce manuscrit dont il a saisi plus que la beauté.
"Il creuse un sillon de lumière
 Dans la cendre polyglotte
 D’une nuit éclairée au latin
 Phare du bout du Temps"
Temps avec majuscule… éternité.
Lisant ce poème sur cette lumière venue, en voyage, d’un livre remarquable, j’évoque Albert Camus. Voici ce qu’il écrit (Carnets III), c’est proche, d’un séjour à Mycènes. 
"Le plus beau soir du monde se couche peu à peu sur les lions mycéniens." (…) "Il valait la peine de venir de si loin pour recevoir ce grand morceau d’éternité. Après cela le reste n’a plus d’importance."
 
Dans ce Livre de Kells les images agissent sur la conscience de qui regarde, par cette lumière qui put provoquer l’effet de secousse énergétique dont parle Jean-Luc Leguay. Quelque chose de similaire semble se ressentir dans les poèmes qui suivent, comme le regret du retour au commun. 
Ce poème de Kells éclaire aussi l’ouvrage de Michel Lamart dont j’avais d’abord deviné le sens en étudiant le titre… Ritournelle Pour un jardin de pierre… (note précédente).
 
Ce voyage en Eire était plus qu’il ne semblait. 
Et quand je lis, revenant au début, une strophe sur les routes d’Irlande, "Ces routes de nulle part
                 Ne vont que de soi à soi"
je peux y voir la métaphore d’un parcours qui est aussi intérieur, "de soi à soi" (comme font les voies d’Eire). Dans cet espace de légendes, de paysages heurtant du "vide" à "l’horizon". 
Et quand, dans un poème, l’auteur cherche à retrouver en lui ce qu’il regarda, les questions sont plus amples qu’un tri pour des "images mentales" à saisir encore. 
Un lieu n’est jamais anodin, on ne le choisit pas par hasard. 
Les eaux d’Irlande apportent leurs vrais "vertiges" sur une route côtière. Mais…
"Pour quels vertiges 
 Visibles
 Et
 Invisibles ?"
 
Autre éclairage porté sur des écritures de Michel Lamart. Cette fois des recueils de quelques pages publiés par La Porte (2011 et 2014). L’espace du dehors en écho aux questionnements du dedans. 
D’évidence interroge la réalité matérielle et symbolique d’un mur. Les espaces devant et derrière, la matière "Pierre après pierre", les enfermements et les promesses de liberté, "l’horizon", "le vide de l’espace"… 
Dit Hiémal, se divise en cinq Hivers… 
Gris, froidure, cendre et cristal (glace peut-être, sur les arbres). "Paroles gelées", "Vent du nord". Monde silencieux, "Voie du Vide"… 
Dimanches de pluie. Poèmes qui pourraient plaire à l’univers de l’Eire… Pluie, Eau en gouttes fines, qu’il voit larmes ou perles. Mais cette beauté pluvieuse est liée à l’ennui… On sent l’auteur entre goût et déplaisir, hésitant entre les deux. Comme regrettant la perte d’un espace volé par la pluie. 
 
Et j’ai lu un livre d’artiste, qu’il a créé avec Régis Lacomblez, plasticien. 
Citation...
Po&sie
           Quels secrets
           Délivres-tu
           Sur nous-mêmes            
                                         Quand ta langue
                                         Nous recrée ? 

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Recension © MC San Juan / Trames nomades

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LIENS...

Page Michel Lamart. Le Printemps des Poètes…  https://www.printempsdespoetes.com/Michel-Lamart

Michel Lamart. Page sur Les Hommes sans Épaules (fiche bibliographique et revues où il est présent)… http://www.leshommessansepaules.com/auteur-Michel_LAMART-...

Encres vives, Michel Cosem... https://encresvives.wixsite.com/michelcosem/edition

Recension Trames nomades. Le Maître de lumière, de Jean-Luc Leguay, enlumineur… http://tramesnomades.hautetfort.com/archive/2019/04/20/le...

Livre de Kells. Fiche wikipedia (et quelques reproductions d’enluminures)… https://fr.wikipedia.org/wiki/Livre_de_Kells

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Merci pour ce retour, Michel. Courriel suit.

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Michel Lamart, Cligner des yeux voir le monde autrement. Photo-poèmes

michel lamart,cligner des yeux voir le monde autrement,éditions unicité,unicité,poésie,photographie,regard,art,philosophieLe livre porte sur la photographie, parcours érudit d’un auteur qui y a beaucoup réfléchi, pensant philosophiquement les questions de l’art (interrogation présente, aussi, peut-on parler d’art ? – mais le livre répond). Le titre montre clairement que le questionnement concerne le regard. En quoi photographier c’est regarder autrement, changer le rapport au regard (peut-être regarder plus, regarder vraiment).

Cligner des yeux voir le monde autrement

Sous-titre, Photo-poèmes

 

L’introduction, titrée Déjà-vu ? est un texte très dense, qui donne des clés fort utiles pour entrer dans cette méditation de connaisseur, cet essai proposé en poèmes. Que fait donc la photographie, l’appareil photographique, de notre regard ?

Il n’existe aucune photographie de rêve. Voilà un constat, avec cette première phrase, qui dépasse l’évidence. Logique absurde, volontairement inscrite pour introduire une hypothèse qui ferait de la chambre noire, camera obscura, le lieu d’une alchimie capable de transposer, ou de faire émerger, cette réalité onirique que rien ne peut saisir (et qui pourtant existe). Comment, alors, penser la photographie autrement qu’en métaphore, cherchant à déjouer le mystère de la chambre noire ?

Peut-être en la pensant doublement, dans un même geste mental. Philosophiquement en étudiant ce que cela permet de capter peut-être métaphysiquement, dans ce que dit l’image en noir et blanc, par les traces qu’elle révèle, du rapport à la mort, ou, plus, de ce que la réalité de la mort dit à l’être humain, par la photographie - et le temps présent comme sujet permanent de toute photographie.

La mort, le réel, le temps. Trilogie photographique…

(Comment, pour moi, ne pas retrouver un écho avec les pages de Georges Didi-Huberman dans Écorces ? Si la mort est présente, c’est bien là, par les images et par la méditation).

Mais j’ai dit... la pensant doublement. Donc en cherchant aussi chez les penseurs de la photographie ce qui rejoint ou pas son approche, et déplace le questionnement de l’ontologie à l'esthétique (photographie et peinture…).

Cependant il faut ajouter une mention centrale, qui contient philosophie et esthétique, qui est l’intention-racine du livre, et qui lui donne sa forme. Michel Lamart dit vouloir (et il le souligne, après d’autres avant lui – mais sans doute pas de cette manière) suggérer un parallèle entre la photographie et le poème, ajoutant L’un étant l’autre - et vice versa.

Camera obscura… C’est bien plus qu’une réalité technique. La source du processus photographique est mentale autant que technique, nourrissant l’imaginaire de métaphores, comme toute pensée sur l’ombre et la lumière.

L’objet de l’auteur est la photographie argentique, car l’histoire de la photographie naît là et que le sens même en est différent. Il insiste sur le fait que ce n’est pas un goût du passé qui lui fait faire ce choix, mais la nécessité de porter l’étude sur ce qui est au contraire refusé (pense-t-il) dans l’usage de la photographie numérique et ses couleurs. Penser l’effacement (l’argentique l’autorise) et son refus, la mort regardée (le noir argentique l’invite) ou projetée dans l’impensé, écartée, masquée par la couleur.

C’est un point de vue très intéressant (et légitimement argumenté : il faut le lire…), même si on peut le discuter, si on voit dans le numérique une fragilité, finalement, au risque de la disparition, et si la couleur peut parfois signifier symboliquement un autre rapport à la conscience de la mort, autre certes, mais pouvant saisir le tragique comme le fait le peintre ou le cinéaste.

De toute façon on ne peut nier la force visuelle de la photographie argentique, qui ne se réalise que par la maîtrise du génie artisan des grands fondateurs (ou des grands successeurs, car il en est). Puissance de leurs noirs.

Deux parties structurent l’ouvrage.

La première, Photographèmes, explore la question de l’identification de la photographie au poème.

La seconde, Photo-génies, propose un parcours, les portraits des photographes qu’il admire.

Tout cela en poèmes.

Paradoxe que cette énonciation assez théorique, matière d’un essai, en langage de poète ? L’auteur en est conscient. Mais d’une part il l’affirme comme la volonté de dépasser la platitude du siècle nouveau empêtrée dans la « poésie » du quotidien, donnant ainsi une autre dimension à la poésie. Et d’autre part cela est adapté à son sujet, penser poésie et photographie ensemble, et le réel autrement. ll est bon d’en interroger « l’ombre portée », écrit-il, reprenant une expression de Jean-Christophe Bailly.

C’est dire le refus du mensonge que peut être la poésie quand elle n’est pas capable d’interroger l’ombre portée de ce réel alors fantasmé, édulcoré. Et je reprends en plein accord son terme de platitude, car on trouve cela souvent dans des jeux formels qui ne font pas penser. Mentir, la photographie aussi peut le faire. Comme le démontrent en le dénonçant autant Georges Didi-Huberman (Écorces), que Win Wenders (Emotion pictures).

Photographèmes… Trois parties. De la photo. Du photographe. Trait pour trait.

De la photo… D’abord, l’absence, triple. Celui qui regarde une photographie est l’étranger du moment. Le photographe était là, pas lui. Mais autre absence, ce moment, qui n’est plus. Hier ou il y a un siècle, ce n’est plus. Quelque chose / A eu lieu. Et enfin, cet espace saisi n’existe plus, lieu sans lieu.

Triple absence. Peut-être plus.

L’image / Porte le deuil / Du mot

Cependant cette absence, lisant, je la trouve vraie aussi pour la poésie.

Celui qui écrivit n’est plus là, même vivant, même se relisant lui-même.

Celui qui lit n’a plus que les mots, rien du geste d'inscription dans un lieu.

Et la pensée inscrite échappe au temps mobile.

Donc interrogation philosophique pour penser le rapport au réel, pensé en vérité ou pas, sans perte, aussi, de la conscience historique. Il y a un passage très riche où la dimension signifiante de la photographie est appliquée non seulement à l’image mais à soi se pensant comme cette image et son négatif, pas uniquement la trace de son corps sur une photographie mais hors image la conscience présente et l’absence qu’on porte ou qu’on sera.

Dimension analytique, aussi.

Inconscient du cliché

Refoulé photographique

Pulsion de mort

Car la photographie capture l’inconscient, même quand elle cherche à le repousser. Mais elle peut aider à fuir ce qui ne veut pas être vu, du réel et de ses tragédies.

Quand et comment se croisent la photographie et le poème ?

Alchimie du verbe

Chimie de l’image

Du photographe… La question première, pourquoi Le désir de photo ?. Qui en rencontre une autre, car sans photographie il y a cependant le regard.

Que saisit / L’œil du photographe / Quand / Il ne photographie pas ?

Questions, toujours. Que crée le photographe (et crée-t-il ?). Y a-t-il un style ? (Ou pas ?). C’est quoi son talent ? Et que veut-il donc révéler ?

Que croit-il pouvoir révéler que d’autres ne sauraient pas, avec son Don Quichottisme ?

Trait pour trait… Le portrait dit-il le vrai de soi-même ou une fausse apparence ?

Ne serait-ce que le Masque d’un / Masque… ?

Et si on faisait le portrait de la page blanche ? Revoilà l’écriture…

Photo-génies… Pour cette grande partie je vais citer des fragments des poèmes consacrés à quinze grands photographes, maîtres de l’argentique. Un art et des destins…  J’ajoute (entre parenthèses) avant les citations, les dates de naissance et de mort, le pays, et un élément qui situe, ou deux, ou plus. Aide à la lecture des poèmes, et ici des citations. En ligne il est possible de voir des photographies de ces grands artistes, souvent pionniers (et en bibliothèque…). Il faudra lire ce livre en aller-retour entre lui et des sites et des livres, enrichir sa connaissance de ces artistes et revenir au texte pour en comprendre mieux le point de vue et les questionnements.

.

Nicéphore Niépce (1765-1833. France. L’inventeur de la photographie, du procédé dit héliographique.)

Au commencement

« La table mise »

Alentour (1822)

Une des premières

Photos

(…)

L’œuvre

Au noir

Du noir

Et blanc

.

Félix Tournachon (1820-1910. France. Connu sous le nom de Nadar. Il est aussi dessinateur et caricaturiste (portrait de Balzac…). A réalisé la première photographie aérienne (d’un ballon dirigeable, et la première photo sous-marine). Portraitiste, a photographié de nombreuses personnalités, dont Baudelaire, Renoir, Sarah Bernhardt. Autoportraits, aussi.)

Pour Tournachon

N’est d’art en photo

Que via la peinture

(…)

Regard intérieur

Que la photo

Révèle

(…)

Dans ce cimetière

De papier glacé

Aux tombes creusées

Au plus profond

De la nuit du Temps

Nous cherchons

Notre propre visage

Sous les traits

De la Mort

.

Émile Zola (1840-1902. France. Connu surtout comme écrivain, et pour sa défense de Dreyfus, son « J’accuse… ! », il est passionné par la photographie et photographie sa vie familiale).

Le sujet

Rien que le sujet

<

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Ritournelle pour un jardin de pierre, de Michel Lamart (suite d'une lecture esquissée le 19-05-21)

1182750108.jpgRitournelle pour un jardin de pierre, de Michel Lamart, À L’Index, coll. Les Plaquettes, 2018. 

Quand j’ai commenté le titre c’était pour rendre compte d’un ouvrage que j’aurais voulu lire (qui était épuisé - et que, depuis, j’ai pu lire). Pour une note sur plusieurs plaquettes, toutes liées au regard. Mais j’avais lu quelques mots sur le site d’À L’Index (Le livre à dire, Jean-Claude Tardif). Et je connaissais suffisamment de textes et travaux de Michel Lamart pour avoir l’intuition de sa démarche et pour deviner que ses mots, accompagnés par des monotypes de Marie Desmée, devaient être un riche exercice de regard. J’avais lu ce qu’il écrivait dans un beau dossier, Autopsier un mirage, consacré à un poète photographe, Michel Mourot, publié par À L’index (n° 38) et recensé ici. 

Ritournelle 2.jpgEt le titre, lui, était là, pour faire son office de titre. C’est-à-dire, avant qu’on ait ouvert la moindre page, laisser imaginer ce que pourrait être l’ouvrage (et constater ensuite qu’on a pu se tromper, ou qu’au contraire on a eu l’intuition d’au moins une vérité des textes…). Ritournelle, c’est léger, c’est humble, un petit chant sans importance (qui ne veut pas se donner d’importance), mais c’est aussi ce qui malgré soi tourne dans la tête, avec ses refrains, ses répétitions, le léger devenant parfois triste. Et si la ritournelle est offerte à un "jardin de pierre", plusieurs possibilités (seule la lecture saura…). Je pense aux jardins zen, superbes et dépouillés, espaces de méditation, voulant signifier un détachement qui capte l’éternité. Je pense aussi aux déserts de pierre, juste avant le sable, secs (j’en connais), lieux qu’on peut aimer (adorer) et qui donnent envie d’y rester, où la seule herbe est de cailloux. Jardin de pierre, cela évoque les cimetières, où, sur les tombes, on pose des pierres en hommage. Mais la pierre peut signifier aussi ce qui est dur et froid, les déserts émotionnels, des douleurs qui figent, ou (qui sait ?) des joies qui sidèrent. En tout cas le titre est bon, qui donne à penser, en se trompant peut-être. Ou pas. (Si les significations se cumulent, ce qui est parfois le cas).

Puis j’ai pu lire. Et je garde le sens que mon déchiffrement prêtait au titre. Il convient à ma lecture de l’ensemble. Qui suit…   

.

En exergue, Jacques Dupin ("rien qu’une image / qui s’enfonce / dans le glacier", Contumace), et une maxime sans auteur (la crainte qu’aurait le Bouddha "face à un poète mineur").

Plusieurs parties, six. Voir en soi, Dans le paysage, Recherche du sommet, Être de pure lumière, Népal, Retour du Népal.

.

Voir en soi

Comme dans son récit de lieu (Eire, Encres vives, note suivante) on retrouve le désir de garder en soi la trace de ce qui est regardé, de l’inscrire en soi, et dans le poème, mais aussi de savoir regarder autrement ces sommets.

"Mais ils ne sont 

 Pas toi" 

En faire un exercice d’acceptation de son étrangeté. L’être minéral ne se mesure qu’à la marche ascensionnelle. Mais le poète cherche à dire la "Minéralité

 Du paysage"

avec ce qui serait la "Minéralité

                               De la langue"

À moins que ce ne soit la langue qui résiste, comme la pierre.

Histoire de voyage, de corps, et d’âme. "Mesure 

                                                           De l’infini"

Ce qui en rend compte c’est le "blanc", la "neige". `

"Neige métaphysique". 

Le voyage des sommets est une expérience de dépouillement de soi, des mots (donc du mental).

.

Dans le paysage

"Tu es

 Ce que tu vois"

Une frontière est franchie, là. Comme l’effet de ce vide mental installé, pour n’être que regard. 

"Regarder

 À travers soi

 Ce qui n’est pas soi

 Et nous domine"

Savoir de présence au lieu et rien d’autre que cela. Entrer "Dans le paysage".

.

Recherche du sommet

Le sommet enseigne le contraire de la domination. C’est le sens de cette partie. Et il enseigne ce que l’homme n’est pas et ce qu’il est. Valeur de l’humain qui doit partir de l’humain.  Le mot "base", ici, fait penser au "pas" de Lao-Tseu ("Le voyage de mille lieues commence par un pas"). Mesure. Le peu pour le plus, sans vouloir le plus. Et conscience de la Nature, qui ne se domine pas. 

"La Nature / N’est pas / La mesure / De l’homme

 Elle enseigne / À l’homme / Qu’il ne doit pas / À elle  / Se mesurer"

.

Être de pure lumière

Et de nouveau l’esprit du Tao (ma perception). Le non-agir de Lao-Tseu. Mais la maxime sur la crainte du Bouddha prend sens aussi, là. Car le Bouddha en soi préfère le silence et le rien immobile. Pour créer le possible de la traversée par l’énergie transformatrice. Donc le poète lâche les mots le temps de sa présence à la fois à lui-même, "Hors / Le chaos / des mots", et sa présence aux sommets de pierre. "J’adhère à la montagne". Comprendre à la fois une adhésion de compréhension de ce que dit la nature à l’homme, et adhésion physique, comme écrit dans les deux premiers vers de cette partie sur la "pure lumière".

"Réconcilier en moi

  Biologique et minéral".

Alors savoir "L’universelle continuité

                   Des êtres et des choses". 

Expérience de méditation, tant dans la marche que dans l’assise, dont les traditions savent que l’assis "Involue", écrit-il. Retour à la profondeur sans mots, et démarche du "voir" comme le conçoit Georges Didi-Huberman, il me semble (tel que je le lis). 

Feu qui brûle pour un retour à l’essentiel. Mais l’être est

 "Brûlé vif

  Par sa propre

  Parole" 

Retournement. Il brûle ce qui le brûle.

.

Népal

Marche nécessaire, et peut-être inutile, se demande-t-il, repensant à la chambre de Pascal…

Si "L’infini 

     Est en nous".

Mais cette confrontation à un ailleurs, en refusant les pièges des images touristiques, produit une sorte d’intégration d’une identité qui dés-identifie, met hors de sa langue, donne au corps une proximité avec les éléments et paysages. Un devenir hors appartenances. "Je suis le jardin de pierre"… Et le "torrent", le "mur de pierres sèches", le "Yak", le "paysan". Je suis ce que je vois, donc, dit son expérience. Et il évoque autres errants "célestes"… Walt Whitman, Kerouac, Thoreau, Rimbaud, Nietzsche. Habité par le renoncement "à tout", car "tout m’est offert".

"Le rien devient 

  Tout" 

Un espace créé en soi. Ce n’était pas inutile… 

.

Retour du Népal

Conscience que celui qui revient n’est pas le même qui partait. 

Et que le retour n’est pas séparation totale, le pays quitté demeure en soi. Ce qui a été, départ, "l’arrachement au sol" fait voir en soi un des "cailloux" du "Jardin de Pierre" (jardin métaphore, à la fois, de notre planète et d’un univers intérieur. Qui pourrait être le jardin zen des méditants, que le titre me faisait voir avant même la lecture des pages. Symbole d’une pureté d’être, pas inaccessible, mais à portée de qui se dépouille des charges mentales qui encombrent.  

Le poème dit le rêve d’une métamorphose humaine par la rencontre des sagesses d’Orient. 

"Voyager  / C’est philosopher"

(Oui. Écrire, aussi...) 

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Recension © MC San Juan / Trames nomades

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LIENS...

Page Michel Lamart. Le Printemps des Poèteshttps://www.printempsdespoetes.com/Michel-Lamart

Michel Lamart, Carnet d’Eire, Encres vives. Recension, MC San Juan/Trames nomades. Note qui suit…http://tramesnomades.hautetfort.com/archive/2021/07/31/mi...

Note antérieure. Les plaquettes, À L'Index... (mise à jour, 30-07-21, avec la suite de cette lecture…) http://tramesnomades.hautetfort.com/archive/2021/05/19/pl...

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30/07/2021 | Lien permanent

”Autopsier un mirage”. Dossier Michel Mourot, poète et photographe (À L'Index N° 38)

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photographique un en-deçà de la langue
où la nuit se sente progresser
     Michel Mourot, 'Dans le coeur de la distance', éds. de La Différence, 2005
 

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et la lumière comme on sculpterait 
le tonnerre d’une caresse
   Michel Mourot, 'Façons du feu, Façons du froid' (31 poèmes hors recueils). À L’Index 38, 2019
 
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comme d’un objet fractal.
chaque vers, la réduction
exacte du poème entier
    Michel Mourot, 'Approches du poème par le désespoir de l’air'
(Textes du tapuscrit hors recueil, À L’Index 38, 2019. Ce titre est dans le recueil 'Intimités du chaos', éds de La Différence, 2007)
                                       Michel Mourot (poète et photographe, 1948-2009)
Je n’avais jamais rien lu de Michel Mourot, dont je ne savais rien, et donc pas du tout ce qui m’a tout de suite interpellée et intéressée : qu’il soit poète « et » photographe. C’est ce « et » qui m’a donné envie de lire attentivement ce dossier au beau titre, « Autopsier un mirage » (titre qu’on retrouve en entrée du texte de Michel Lamart, qui étudie, notamment, la création photographique et le visible dans la poésie de l’auteur. Ce titre traduit bien le projet du dossier complet, qui veut nous faire pénétrer dans le mystère d’un destin d’écriture et de regard (interrompu par un accident de voiture). Mais dit aussi à quel point il ne se donne pas d’emblée. Et « autopsier », le poète cherche cela dans son écriture et pour l’écriture. Il y a une acuité de recherche qui se veut en quelque sorte une effraction du langage. Dans certains textes il déchire tout : lignes, mots, syllabes, lettres, signes. Même la ponctuation est détournée de ses effets (un point suivi d’une minuscule, par exemple, prend un autre sens que celui d’une fin de phrase, il marque son espace dans la phrase même). Parfois c’est cela et parfois pas du tout. Deux directions, deux manières de faire trace.
 
Jean-Claude Tardif, l'éditeur, nous dit, en un bref avant-propos, les conditions de l’existence de cette publication. Rencontres, fidélités. Les sept contributeurs nous font entrer dans l’intimité complexe d’un artiste, et dans une oeuvre qui est beaucoup, me semble-t-il, déchirure. 
 
Ainsi, on lit…
Hervé Carn (qui se souvient de ses rencontres avec le poète, autour du cinéma et de la poésie).
Michel Cosem (poète et éditeur, qui le publia, à « Encres vives »).
Michel Lamart (à l’initiative du dossier ).
Patrick Mouze (qui présente des inédits).
Béatrice Pailler (qui écrit des poèmes en marge des photographies de sol et d’eau).
Christian Travaux (qui étudie les paradoxes du travail de « désécriture »  du poète, sa « rage » à casser, biffer, griffer, abréger, pour, dit-il, « écrire l’écrire »).
Et le poète James Sacré (qui le connut par le hasard d’une recension que fit Michel Mourot sur un de ses livres, ce qui le fit vouloir le rencontrer). Et qui, rappelant le méchant propos d’un poète d’alors au sujet des textes de Michel Mourot qu’il qualifiait de « galimatias », dit que l’auteur, lui, ne prenait pas cela péjorativement, car il y retrouvait la qualité (donc au contraire de l’intention négative) de sa démarche de déconstruction. James Sacré, montre justement, à partir de cela
 (rejoignant la lecture de Christian Travaux) la force littéraire de ces biffures et cassures - car elles sont conscientes, et nommées dans les poèmes (« gestes foudroyés », « séisme »). Oui, il y a toujours des gens qui veulent avec arrogance juger les autres sans les comprendre… Et, à l’inverse, des écrivains se faisant lecteurs pour révéler ce qu’ils reconnaissent dans une œuvre, comme ceux-ci dans ce numéro.
 
Michel Mourot affirme une volonté formelle de la destruction des normes du poème, tout en cherchant avec obstination à construire, à structurer le poème et le recueil (on voit des plans divers et des variantes), en défaisant et reprenant autrement l’ordre et les titres. Il bouscule, crée des scansions, des heurts, met des signes, des chiffres, des parenthèses…
Parenthèses. J’aime ce mode de pensée, car c’en est un, où on inscrit ainsi l’in-fini (le non fini) d’une interrogation sur le sens. Façon de dire que rien n’est figé, qu’il y a encore autre chose à dire. Et même s’il n’y a rien de noté, juste le signe, la parenthèse est l’inscription d’une digression intérieure, la pause dans la pensée pour plus de pensée (ou au contraire la méfiance de ce qui serait un « trop » de pensée). Et simplement l’espace suggéré du regard non transcrit. Le photographe en lui sait qu’il ne peut tout dire de la vue, que la poésie est visuelle mais échappe cependant à une totalité illusoire de la captation des images. Entre la poésie et la photographie Denis Roche mettait un « parce que » liant les deux créations, l’une imposant l’autre. J’ai l’impression que, quoi que puisse être une possible concordance entre eux (puisque Michel Mourot connut et apprécia l’oeuvre de Denis Roche) c’est différent. Je crois que ce serait, là, un « malgré ». La poésie malgré la photographie, et inversement. Tension : « Cerner le lieu, qu’y puis-je ? ». Mais de toute façon l’œil est omniprésent. Écrivant c’est parfois comme s’il frottait les mots pour les user et en faire sortir le visible, rien que le visible, à force d’effacer le reste : « Les abréviations sont des mots foudroyés ». (Poète foudroyé ?).
 
J’aime, dans les trois photographies proposées, que ce soit matière d’eau, présence du sol, « matière-fantôme » : « Je photographie la pluie » écrit-il. Et : « la voix nous vient des pierres. / on n’échappe pas au sol. » Il va loin, dans ce sens : « l’écriture me vient des pieds ». Peut-être car ainsi il poursuit l’auscultation du réel et de soi, mais pas devant une table. Saisir la topographie des lieux comme il trace une typographie heurtée. Démultiplier les cadres du réel en marchant, car les regards successifs impriment des images en surimpression, et cela dérange l’immobilité, les certitudes sur ce qui est. Alors que l’immobilité peut faire mentir la perception. Ainsi il déchiffre les « cicatrices de la terre » et choisit «  Plutôt l’incertitude ».
 
Pour moi c’est une rencontre majeure que cette lecture. Émue devant des proximités étonnantes (en ce qui concerne la photographie et ce qu’on peut dire de la photographie). Moi avec ma série de flaques, fascinée par ces surfaces d’eau, ce qu’elles révèlent. Mes ombres sur le sol, et ma réflexion sur ce rapport au sol, à la surface. Mais j’aimerais que des photos de lui soient regroupées dans un livre (avec ce qu’il a pu écrire sur la photographie et le regard, dont les citations lues dans À L’index, à ce sujet). 
 
J’aurais aimé le citer beaucoup plus, tant j’ai apprécié de passages des textes. Mais il y a la revue pour les lire… 
 
MISE à JOUR... Le dossier est complété par un CD. Je l'avais vu, pas encore écouté au moment de la recension (un problème technique sans doute, je ne sais plus). La VOIX... Entendre les poèmes dits apporte une dimension particulière, une émotion, et certainement une compréhension supplémentaire.
 
recension © MC San Juan
 
Réponse au commentaire (transmise aussi directement).
Merci, Michel, pour ce retour. C'est précieux, quand on écrit sur le travail des autres, que savoir comment ils reçoivent cette lecture. Ces recensions sont l'autre face de mon écriture, qui compte, car la lecture est au sommet des pratiques préalables à la création, pour moi. J'ai aimé ce dossier, beaucoup, car il traite de questions qui me sont intimes, et l'art double de Michel Mourot est celui d'un frère en regard. Les auteurs qui ont ouvert, avec art, le sens profond de sa démarche ont fait oeuvre juste.
Et, oui, il manquait la mention du CD, la voix. Et c'est effectivement un "plus" dans ce dossier. C'est très émouvant d'entendre ainsi des poèmes dits. Depuis j'ai fait une mise à jour.
 
LIENS... 
Sur une conférence (à Reims, par Michel Lamart et Patrick Mouze ) autour de ce numéro d’À L’Index…Texte introductif. 
Bio-bibliographie, liste des livres (dont plusieurs à rééditer…).
À L’Index N° 38
Commande : Le livre à dire, Jean-Claude Tardif, 11 rue du Stade, 76133 Épouville. Le dossier, et le CD associé (voix de l’auteur) 17€

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La recension de Michel Diaz pour Le réel est… / DIÉRÈSE, revue de poésie (1er temps de lecture du n° 88…).

Diérèse.jpgPremier temps de lecture de la revue Diérèse (Daniel Martinez) car (très occupée autrement) j’ai cumulé un retard de plusieurs mois (revues et livres qui s’entassent mais ne seront pas abandonnés…). Et le numéro 89 attend aussi… 

Dans ce numéro 88 j’ai la joie de lire la superbe, et ample, recension que Michel Diaz a consacré à mon dernier recueil, Le réel est un poème métaphysique (extraits après mon introduction, 2ème partie de la note, suivie du lien vers le site de l’édition). Dans ce numéro je suis en compagnie des lectures qu’il a faites des livres de Jacques Robinet (Clartés du soir, Unicité - recueil que je suis en train de lire...), Richard Rognet (Dans un nid de flammes, L’herbe qui tremble), Jean-Pierre Boulic (Enraciné, La Part Commune). Mais j’ai découvert aussi autre chose. Un texte de Michel Diaz dont je lis surtout les recueils de poèmes et fragments poétiques (écriture que j’apprécie particulièrement et place « haut ») : dans cette revue, pages 199 à 215, un récit troublant, Un petit théâtre de ruines, dont l’exergue (La Rochefoucauld) révèle un sens, un questionnement (frontière indistincte entre vérité et mensonge, ou les fils étranges du destin).

Donc, sa recension. Une capacité intuitive qui lui fait savoir, au-delà des pages à déchiffrer, ce que celle qui écrit tente de décrypter, cet autre savoir dont l’écriture veut dire la souterraine conscience. Il sait, parce que sa démarche d’écrivain se situe dans un espace de profondeur signifiante.

Ce numéro doit être parcouru plusieurs fois, j'y reviendrai. J’y retrouve plusieurs noms connus, et des auteurs à découvrir. De ceux dont je connais l’écriture (en plus de Michel Diaz, dont je viens de recevoir le dernier ouvrage paru, Éloge des eaux murmurantes, créé avec le graveur Lionel Balard) je repère les noms (dans l’ordre des pages où ils apparaissent, pour des poèmes ou des notes de lecture) de Raymond Farina (j’ai fait une recension pour un de ses recueils, dans le numéro 23 de la revue L’Intranquille), Isabelle Lévesque, Béatrice Pailler (que je lis dans la revue À L’index, où nous partageons des pages avec Jean-Pierre Otte, Myette Ronday, et Michel Lamart, notamment, présents aussi dans ce numéro), Emmanuel Merle (nous avons eu un éditeur commun, il y a des années, et je suis attentive aux auteurs croisés ainsi ), Daniel Martinez (poète et éditeur de la revue), Luc-André Sagne (découvert grâce à des groupes littéraires sur Facebook), Jean-Louis Bernard (découvert par ses publications aux éditions Alcyone), Gérard Bocholier (découvert par des notes de lecture révélant un univers qui m’intéresse), Sabine Dewulf (lue aussi sur Facebook, ses thématiques rencontrant des espaces des miennes : lecture programmée d'un recueil récent, Près du surgissement). Mais je relirai aussi, dans ce numéro, l’éditorial d’Alain Fabre-Catalan, Au risque de la poésie, et j'irai découvrir les textes de la rubrique Poésies du monde

Cependant, là, mon sujet est cette lecture magnifique de Michel Diaz. Je choisis d’en extraire des fragments. Pour en mesurer la valeur sans trahir son art il faut lire son texte intégral, donc dans la revue…

……………………. Extraits :

« Mes photographies ne veulent rien illustrer. Mes textes ne commentent aucune image » prévient Marie-Claude San Juan dans le texte préliminaire de son recueil, Le réel est un poème métaphysique. Recueil composé de quatre sections, proses réflexivo-méditatives, poèmes, citations, qu’accompagnent 21 belles images photographiques de l’auteure elle-même. 

Le sujet du livre est donné dès les premières phrases de l’avant-propos, « Les voiles qui délivrent le caché » : « Éternel ET éphémère, le réel, avec ses traces qui s’effacent, poussière qui glisse entre nos doigts, nous précède et demeurera au-delà de nous, réalité toujours présente quand nous ne serons même plus poussière. Tant que la planète Terre sera planète. » 

Mais qu’est-ce que le « réel », cette notion à laquelle la poésie, en première ligne, se trouve confrontée, chargée d’en rendre compte ? Car le « réel » n’est pas le monde, “ la réalité ” telle que notre langue et notre culture avec ses mots, ses préjugés, ses croyances, l’a construite et continue de la modeler en fonction de nos perceptions nouvelles. N’est-ce pas plutôt ce tissu du monde, cette « peau » dont parle Marie-Claude San Juan et qu’elle appelle “ réel ”, qui fonde et déborde notre “réalité ”, la compréhension que nous pouvons avoir de ce qui est ? Ce “ réel ” n’est-ce pas surtout ce après quoi court le poète, mots en avant, comme un qui marche dans la nuit une lanterne à la main ? « Retourner le champ invisible, en écrivant », nous dit-elle. « Parfois tout est immédiat et donné, le palimpseste n’a été effacé et recouvert de signes que souterrainement. » Et elle ajoute : « Mais au-delà de l’instant saisi, cette brutale émergence d’une mémoire des yeux, préférer la permanente lenteur de la gestation de soi. Écrire ? Mettre ses yeux en mots, mais les yeux derrière les mots. » 

(…)

C’est donc cette écriture poétique qu’elle nous donne à lire aujourd’hui avec ce livre, proses et poèmes qui posent l’enjeu du livre (trouver ces « instants où l’immense se rencontre dans l’imperceptible, quand la lumière effleure des parcelles d’or que l’eau invente »), et le lieu même de cet enjeu : le poème comme une ouverture sur l’inconnu. Un petit rectangle de mots qui donne sur ce qu’on ne sait pas... 

Ce que nous dit ce livre, c’est qu’il n’y a pas de différence “ ontologique ”, comme disent les philosophes. Qu’il n’y a pas la réalité où nous vivons et une “autre réalité” (le réel) mais que c’est le même monde éprouvé différemment. 

(…)

« Le hasard peint des couches de marques sur le sol, les portes, les murs, en omniscient caché, créateur de sens. Le temps griffe les surfaces, trace, grave et demeure. Effleurage mystique du toujours non su, caresse du réel calligraphiant notre radicale ignorance. » Presque rien, pas grand-chose, voilà ce qui reste quand on se retourne et que les yeux ont regardé. Moins qu’un chemin, moins que des traces, juste un miroitement évaporé. Comme si rien n’avait jamais été. Mais si ce rien qui n’est quand même pas rien, et si ce n’est pas le rien d’en haut dont parlait Simone Weil, ce serait le rien d’ici-bas comme une transcendance qui logerait dans l’immanence, un rien germinatif, quelque chose de l’ordre de ce “ rien qui fait tout surgir ” dont parlait Sören Kierkegaard ? 

(…)

Ce livre est la démonstration que la quête spirituelle, se passant de toute référence à la transcendance divine, appartient aussi à qui a fait du monde l’objet de son amour et y adhère tout entier pour s’y confondre, ainsi que le disent les derniers mots du texte : « Objectif dénuement / rien ne possède / car rien n’est possédé. Le Je se dépouille même du Je. » Et dans cette démarche de regard que nous propose Marie-Claude San Juan, il n’y a aucune différence entre le sens et la lumière... 

Michel Diaz, 01/10/2022

……………………………………...................

Diérèse et Les Deux-Sicileshttp://revuepoesie.hautetfort.com

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26/02/2024 | Lien permanent

Michel Simonet, balayeur et écrivain.

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L'article du Nouvel observateur me donne très envie de lire ce livre de Michel Simonet. Après avoir lu avec intérêt l'art poétique de Roger Caillois (son éthique, qui s'adresse quand même plutôt aux auteurs assez connus pour risquer d'en faire usage de pouvoir, il me semble, même si certains points peuvent être adoptés par ceux qui aiment l'ombre - ou que l'ombre choisit...) je trouve que la démarche de cet homme est un art poétique en actes. Il pense la vie en libertaire "total" (total, mais non "radical"). N'ayant pas encore lu le livre je ne peux avoir d'avis sur la qualité littéraire, bien sûr.

Mais j'ai l'impression qu'il y a une profondeur vécue, une sorte de sagesse qui émane de cet homme, un savoir spirituel. Et son goût pour ce métier de balayeur (cantonnier à Fribourg) me fait penser à ce que disait Stephen Jourdain ("sage" s'il en est, pour ne dire par ce mot qu'un peu de lui), dans un de ses livres, revenant sur les tâches quotidiennes qu'il aimait accomplir : balayer, frotter, laver... Sans doute parce que, par ces gestes, on entre ainsi dans un rapport physique à la matérialité du réel, on est dans l'instant pur, loin des idées trop mentales... Donc, je lirai... 

L'article de Jérôme Garcin... https://bibliobs.nouvelobs.com/l-humeur-de-jerome-garcin/...

Page de la revue Conférence, 2017 (avec les illustrations, dessins de Pierre Dupont)… http://www.revue-conference.com/index.php 

Premier éditeur, diffusion Payot, 2015…. https://www.payot.ch/Detail/une_rose_et_un_balai-michel_s... 

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12/02/2018 | Lien permanent

Recension. Lignes de crête, de Michel Diaz

Diaz, Alcyone.jpgCette recension était prévue, j’apprécie de la relier à mon parcours de la revue Saraswati, où Michel Diaz est présent (note précédente).
 
En exergue au préambule, l'auteur a choisi de citer Thérèse d’Avila et Kant, pensées qui traduisent notre faim intérieure, et dans le corps du texte des lignes d’Alain Freixe (extraites de Comme des pas qui s’éloignent). 
Que dit ce préambule, qu’annonce-t-il ? Un questionnement, une recherche comme en apnée, où l’attention à "la solitude saturée de présence", que révèle la marche, est celle de "l’écoute du monde invisible où s’enracinent nos pensées les plus archaïques et dont nous recherchons toujours la clé". 
On retrouve, relisant ces pages, ce même désir de déchiffrement de l’entre-deux que révèlent les poèmes en prose des saisons : "ce cheminement sur la ligne de partage des eaux" (…) "vers des pierriers d’incertitude au pied desquels peuvent s’ouvrir des trouées de clarté comme des chaos de ténèbres". La démarche est éclairée aussi par la brève postface où l’auteur dit le rôle de la marche dans l’émergence des textes, et celui des "alchimies imprévisibles de la songerie".
Le livre est divisé en quatre méditations, offertes à Walter Benjamin, Friedrich Hölderlin, Claude Cahun,  et Alejandra Pizarnik. On comprend pourquoi le préambule parle du risque de bascule dans "des chaos de ténèbres", et pourquoi la postface mentionne la "douleur inexprimée".

Terrible marche que celle de Walter Benjamin, ce chemin sans retour (titre du texte), poursuivi par la police allemande, menacé, sans espoir, qui finit par se suicider le 26 septembre 1940, ne voyant aucune issue. 

"s’enfoncer dans sa propre blessure

 inverser le regard   le tourner

 plus profond que soi"

De même, c'est toucher la douleur qu'aborder les années d’Hölderlin proches de la folie, lui qui traça l’injonction superbe qui donne le titre de cette partie, Il faut habiter poétiquement le monde. S’il frôle la nuit de la conscience c’est peut-être pour avoir le courage, en poète, d’interroger le mystère des ténèbres humaines et de tenter les mots qui diront, "seul en sa solitude d’homme et en ses déchirures".

Pour aborder... 

"un silence qui vient chercher

 dans le remuement de la langue

 ce qui livre et délivre

 et que la parole ne savait pas 

 mais qui se disant la dépasse"

Compréhension intime qui fait que Michel Diaz tutoie Hölderlin en ami, en poète sachant ce que l’écriture qui exige rejoint aussi d’ombres douloureuses en soi.

‘tu questionnes ce nœud d’angoisse 

 où le sort t’a jeté’

Et pourtant, que ce soit pour Walter Benjamin ou Friedrich Hölderlin, derrière le désespoir la présence de ce qui permet quand même d’entrevoir un autre espace. 

Malgré la mort qui attend Benjamin, on le sait, le dernier texte est titré "comme on ouvre un chemin", et il évoque "une lumière pacifiée", peut-être pas seulement l’illusion d’un espoir avant la mort qui sera le dernier choix, mais la présence de ce qui "libère l’homme de son ombre". 

Et, pour Hölderlin... 

"derrière les yeux 

 ce qui importe est sans visage

 et sans regard"

(…)

" - à la fin

 une fleur inouïe et pure

 s’échappe à la pointe de l’être"

Dans le dernier texte dédié à Hölderlin, mélancholia, c’est Hölderlin qui parle : "je suis né dans le corps d’un ange". Mais ange incarné, et privé, amputé, de ses ailes : "Moi, je boite des omoplates". Comme l’albatros de Baudelaire, dont les ailes traînent sur le pont, et qu’un marin "mime, en boitant". Ailes qui symbolisent l’accès au "monde invisible" évoqué par le préambule. "Je" du poète, si fort qu’il est aussi celui de l’auteur du recueil, mais aussi "Je" de tout poète qui serait digne de l’exigence d’’Hölderlin.

Douleur aussi chez Claude Cahun, dans sa soif de liberté. La folie, elle l’a croisée pendant l’enfance, dans celle de sa mère. Mais c’est la guerre qui l’a affaiblie et qui la fera mourir relativement jeune. L’injustice nommée dans le premier texte c’est l’oubli de l’artiste et poète, retrouvée récemment. L’auteur répare l’oubli…

"Il faudra bien un jour, dis-tu" (…)

"que se lèvent ces mots qu’a semés ta parole."

Et, bien sûr, douleur, pour Alejandra Pizarnik, on le sait, suicidée à 36 ans, à sa troisième tentative. Qui peut savoir la source de son désespoir ? Elle est née en Argentine, mais sa famille était venue d’Europe et parlait encore le yiddish (pour elle il y eut surtout l’amour de l’espagnol de l’écriture, cependant). N’est-ce pas pourtant une clé pour comprendre la souffrance de celle qui parle, dans sa correspondance, de ses "vieilles peurs et terreurs", et écrit, dans un poème "Je m’habille de cendres". Une mémoire trans-générationnelle, la trace de l’exil familial, il y a de quoi nourrir un refus du monde réel. Et de quoi renvoyer en soi à "une zone épouvantable, où il n’y a que peur, peur, peur encore" (Journal). Cercle des peurs nées de l’Histoire, le premier texte dédié à Benjamin rejoint peut-être celui qu’habite Pizarnik. 

La dernière innocence, titre du texte dédié, et titre d’un de ses recueils, fragment emprunté à Rimbaud, Mauvais sang, d’Une saison en enfer. 

Mais Rimbaud poursuit... "La dernière innocence et la dernière timidité. C’est dit. Ne pas porter au monde mes dégoûts et mes trahisons." C’est donc tout cela qu’Alejandra Pizarnik dit, avec ce titre, et que reprend Michel Diaz pour elle. Lui parlant il dit "tu", mais il dit aussi "nous". 

"c’est l’haleine de l’aube

 délivrée de son dernier poids

 venue d’une douleur ancienne

 et des mots qui nous rêvent"

Son écriture, ou une force mystérieuse en elle, malgré tout.

"ce n’est rien qu’une force dressée 

 contre toutes les nuits à venir"

Mais si, en soi, elle, "nous"…

"il est temps de nous souvenir

 qu’en nous veille une inexorable lumière"… 

alors il y a toujours la menace de la mort, parce que le ciel est "trace d’une plaie muette"

et les "nuits glaciales" sont

"des nuits chargées de solitude".

Le dernier texte du recueil, présence au monde, est toujours pour Alejandra Pizarnik, elle dont il lui dit que "La mort est une grande malle en sommeil dans la chambre de ton poème". Mais, de ces mots "sidérés" et "sidérant le regard de celui qui les lit", Michel Diaz demande s’ils peuvent "nous consoler". "Et de quoi ?"

Paradoxe, que les mots des chagrins et peurs, des solitudes, puissent être consolateurs ? Ou justement est-ce parce que nous retrouvons en nous les mêmes interrogations et qu’on reçoit un baume en lisant qui a affronté ses ombres (comme le fit Rimbaud dans Une saison en enfer, que lut Alejandra Pizarnik). 

Consolés ? De quoi ? Il répond.

"Peut-être de devoir, face au miroir énigmatique, interroger toujours, sans détourner les yeux, la face sombre du destin."

et, ajoute-t-il, "de n’avoir pas su assez retenir’ cet intangible espace où s’inscrit ‘la présence du monde et la mémoire de tout ce qui fut".

Ce dernier texte répond aussi aux autres parties du recueil, il peut être lu comme une conclusion du tout. Consolateurs, aussi, les mots de (et sur) Walter Benjamin, Friedrich Hölderlin et Claude Cahun, comme ceux d'Alejandra Pizarnik. Des ombres, des mots pour les dire. Car ce sont aussi "les mots du jeu du vivre et du mourir". Ce que la poésie peut, et ce qu’elle doit (aider à "habiter poétiquement le monde") ce n’est pas mettre du rêve mensonger et de la joliesse sur la réalité, c’est "sans détourner les yeux" écrire la vie, la mort, le destin, le monde tel qu’il est, les douleurs telles qu’elle sont. Même si c’est "en lettres de sable et de vent", comme le fait le monde lui-même, laideur et beauté, ombre et lumière.

Car, je relis encore ceci…

"il est temps de nous souvenir

 qu’en nous veille une inexorable lumière"

Au début de la note précédente, voir aussi ma lecture des poèmes en prose de Michel Diaz (les saisons, Saraswati 16), premières pages de la revue.

J’ai remarqué, dans les coups de cœur de Silvaine Arabo (cette revue Saraswati 16), une recension qui m’intrigue, car elle rejoint un sujet sur lequel j’ai travaillé, pour rendre compte d’un livre de Gabriel Audisio, sur le personnage d’Ulysse (note qui suit). Et que Michel Diaz ait lui aussi consacré un livre à ce mythique méditerranéen m’intéresse particulièrement (je perçois là une porte supplémentaire, essentielle, pour entrer dans sa poésie). Donc, dans Le verger abandonné (éds. Musimot), Michel Diaz fait écrire Ulysse, des lettres pour dire son désir de continuer son errance. Je me demande si l'auteur connaît l’ouvrage de Gabriel Audisio et ce que changera cette lecture (à faire) de ma perception de l’Ulysse d’Audisio. Il me faudra définir le mien… Intéressante confrontation à venir. Mais j’ai trouvé un extrait de la préface de David Le Breton, sur le site de L’Autre livre (association d’éditeurs indépendants, et librairie à deux pas de chez moi…). Dans cette préface je vois des traces qui confortent certaines de mes intuitions (ou hypothèses) au sujet de ce que je pourrai découvrir dans ce livre… Des mots, une citation… 

Mais je reprends d’abord un passage de la recension de Silvaine Arabo.

"La probabilité, l’espoir d’être, au fond, sur un chemin qui mène quelque part… Il s’agit bien d’une fête spirituelle dont Ulysse prend peu à peu conscience du fond de ses abîmes… même s’il n’aime pas trop à se l’avouer et s’il lui plaît de voiler son hypothétique 'accomplissement' à venir de 'ténèbres'.         Une magnifique écriture, comme toujours chez Michel Diaz."

.........

LIENS

Lignes de crête, Alcyone, page de l’édition. Présentation, préambule, et quelques poèmes… http://www.editionsalcyone.fr/441615234

Site de Michel Diaz… https://michel-diaz.com

Poèmes de Michel Diaz, revue Saraswati 16 sur les saisons. Voir le début de la recension. Note précédente… http://tramesnomades.hautetfort.com/archive/2021/04/16/sa...

Le verger abandonné. Livre de Michel Diaz sur Ulysse (qui choisit l’errance). Extrait de la préface de David Le Breton, site de L’Autre livre, pages de l’édition Musimot… Je relève ce qui rejoint mes questionnements et fait, indirectement, le lien avec les thèmes d’Audisio (note du 27-02-21. Gabriel Audisio, l’ancêtre principal, et Gabriel Audisio, ou Ulysse poète, note suivante, datée du 22-03-21).

‘Mais peu à peu, au fil du cheminement, les contours de son monde intérieur s’effacent, et bientôt il ne reste rien de son identité première ni même de ses raisons d’être, sinon un renoncement progressif, une volonté de faire de son exil une errance perpétuelle au bord du monde dans la tentation de n’être plus personne. ‘Le lieu véritable est-il dans l’absence de tout lieu ? Le lieu, justement, de cette inacceptable absence’, nous dit Edmond Jabès. Telle est l’incise du texte de Michel Diaz de laisser dans l’esprit du lecteur un étonnement, un déséquilibre qui en fait tout le prix.’... https://www.lautrelivre.fr/michel-diaz/le-verger-abandonne

Recension © MC San Juan

Merci à Silvaine Arabo, tant pour la lecture de la recension - j'y suis très sensible - que pour la communication provoquée, tous ces signes...

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Michel Cosem, Encres vives (Rocamadour, lieu... et Œuvres récentes). Ou ”Écrire sous l'écorce”...

Cosem.jpgDeux volumes d’’Encres vives. 
Œuvres récentes, n° 480, 2018 
et La pierre à ciel ouvert (Rocamadour), 391ème lieu, 2020
.
Œuvres récentes
ou
"Écrire sous l’écorce" 
 
C’est un vers que j’ai lu dans un de ses poèmes, page 4. Mais il m’a semblé correspondre à l’ensemble, révéler quelque chose, pouvoir être en quelque sorte le titre de cette recension. 
 
 
"Écrire sous l’écorce
 L’histoire et l’imaginaire
 Les voyages dans les hautes dunes d’or
 Et les crépuscules du cœur"

On lit avec la trace en soi de phrases relues juste avant. Parcourant les articles sur les livres de Michel Cosem, j’ai eu deux fois des passages des Carnets d'Albert Camus en mémoire, comme en surimpression. Ce lien avec le lieu. Parmi les dix mots préférés de Camus, le monde, la terre. L’importance de cet ancrage dans la contemplation de la nature je le trouve aussi là, tant dans ce qui est dit 'sur' Michel Cosem, son écriture, que dans ce que je lis 'de' lui. Et quand je parcours ce qu’il dit de la demeure en pensant à la mort (ce qui reste après nous des lieux sans nous) j’ai devant les yeux la phrase de Camus qui voit, dans la "douceur" de "certains soirs" être une consolation qui aidera à mourir, sachant, dit Camus, "que de tels soirs reviendront sur la terre après nous". Nous sommes des lecteurs habités par des pages qui nous hantent. Mais cela ne fait pas écran, non, cela aide à comprendre. Ceux dont l’écriture est une méditation sur vivre et mourir, avec la conscience que nous sommes éphémères, s’éclairent les uns les autres. 

"Écrire sous l’écorce", donc, ce vers du poème cité par Annie Briet, je le retiens plus qu’un autre, car il me semble traduire une poétique. L’écorce c’est la nature, puisque le réel des arbres. Mais c’est soi, notre peau à gratter en écrivant et ainsi aller au centre. 

À travers tous ces textes cités, quels mots garder surtout pour prendre trace de cet univers ? 

Je note… Lieu, lieux, terre, mystère, regard, imaginaire, rêve.

Je retiens une intention posée comme sens de l’écriture. Et c’est encore Annie Briet qui cite les phrases d’un entretien. Il dit vouloir "développer une vision du monde", "participer à la richesse intérieure de mes contemporains", définissant "l’acte poétique" comme "résistance : contre la pensée uniforme et pratique". Ainsi aider ce qu’on peut interpréter comme la possible expansion des êtres. 

Et je me dis que son entreprise de revue-édition doit avoir la même motivation. Produire en nombre des paroles qui élèvent, en ouvrant la porte aux textes de poètes qui amplifieront cette participation évoquée, vers une "vision du monde" enrichie par le regard des poètes. 

J’ai parcouru les différentes recensions regroupées ici, sur des recueils publiés chez divers éditeurs (dont L’Harmattan, Alcyone, Unicité, et Encres vives, aussi). 

Je note des titres...

L’encre des jours (Alcyone, 2016)

Les mots de la lune ronde et Écho de braise et de cigale (L’Harmattan, 2017, 2018)

Aile, la messagère (Unicité, 2018)

La bibliographie qui complète le volume va de 2004 à 2018 (date de la publication de ce numéro 480). Elle ne contient donc pas le livre recensé plus bas, Encres vives/2020, et pas plus celui que j’ai découvert sur le site de L’Harmattan, au beau titre, Un sillon pour l’infini, 2021.

J’ai d’abord lu les citations choisies par les chroniqueurs. Puis repéré leurs mots, leurs ressentis. 

Ils se rejoignent, insistant sur l’importance du regard et de l’imaginaire (ainsi Chantal Danjou), sur la conscience de la "finitude" (Annie Briet), la captation de ce qu’est la nature (Gilles Lades), la place du lieu, des lieux (Christian Saint Paul et Jean-Baptiste Testefort). L’univers animiste mentionné par Murielle Compère-Demarcy je l’ai perçu fortement en lisant le second volume, les poèmes. Ce qu’évoque peut-être aussi Jacmot en mentionnant l’importance de la personnification, dans les poèmes en prose de L’encre des jours (Alcyone). "Il n’est pas une rivière, une colline, une forêt, une roche, une route, qui ne s’anime aussitôt qu’elle est couchée (apprivoisée ?) sur le papier." Du recueil de 2018 paru chez L’Harmattan (Écho de braise et de cigale), Jacqueline Saint Jean dit autant les parts plus sombres (nostalgie, doutes, ombres) que ce qui s’oppose à la "désespérance" (les "gestes"… "enracinés"). Car il y a, écrit, "le partage des connivences et des éternités". Et, dans le même sens, pour voir confirmé que cette poésie est de profondeur, je lis Jean-Louis Bernard, pour Les mots de la lune ronde. "Michel Cosem désencombre la parole de ses artifices pour offrir au lecteur une capacité d’écoute souvent perdue en ce monde, cette écoute qui permet de percevoir l’illimité." D’autres textes méritent aussi lecture. C’est un parcours assez riche. 

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Encres vives.jpgLa pierre à ciel ouvert

ou

"des espoirs aux lèvres d’étoiles"

Belles pages, qui invitent à "goûter à l’élixir de la beauté".

Poèmes en prose (mais trois en vers). Deux textes par page, sauf le premier, seul sous le titre intérieur. Et dont la dernière phrase, séparée de ce qui précède, pour être lue avec plus d’attention, révèle une perception de notre rapport au monde, cette fausse séparation qui vient de notre difficulté à vaincre le mental, à entrer en osmose avec le non-humain. Parfois, oui, cependant... Mais "si par hasard"… Oui, il suffit de peu pour casser le lien. Alors "tout est à recommencer". 

"On ne maîtrisera jamais la dualité".

Superbe premier poème. Une vision mouvante et immobile à la fois. Comment la pierre des rochers peut prendre l’apparence d’animaux ou êtres fantastiques. À moins que ce soit plus que l’apparence. Comment la pierre peut être habitée par quelque chose qui pourrait être l’esprit des animaux (lézards, tortues, crocodiles). Imaginaire puissant ou intuition des "mystères du monde" que les "fées de la rivière" ont "dans leurs flancs". L’imaginaire a les clés du réel. Et de l’inverse de la dualité… Les rochers figurent aussi comme les pages des "tables de la loi" (lois des textes fondateurs ou "lois de la pierre", ou les deux).

Ce recueil est un manifeste amoureux louant la beauté d’un paysage, Rocamadour et ses environs. Mais c’est aussi la trace d’une tension entre les grandes questions métaphysiques et le rapport concret aux choses qu’on peut regarder et toucher.

D’un côté les sujets à penser... 

Le temps, celui de tous les jours et celui qui s’échappe (éternel). 

La dualité. Le monde vu où s’affrontent rapace réel et fées rêvées. Rapace duel car son cri menace l’accord fusionnel avec la nature, séparant.

L’imaginaire des religions. Les pierres "inventant d’émouvantes histoires de dieux qui n’ont jamais existé et de madone toujours vierge"… 

Le passé, l’Histoire. Tout ce qui défila d’humain et de souffrance dans ces lieux. Et "on traverse l’endormissement du monde et les siècles qui vont avec".

Et, autrement, la présence presque charnelle de la nature. Chemins et chemins, rochers, rochers encore, pierre, cailloux. Herbes, lichen, arbres, pollen, rivières, fleurs, dont le rouge coquelicot qui efface, avec le jaune papillon, tout le gris du monde (poussière et vécus). Le papillon jaune me fait penser au papillon noir de Richard Moss (qui joue un rôle troublant pour lui dans une expérience spirituelle, un accès soudain à la non-dualité, ce papillon étant venu se poser un instant sur son front). Richard Moss raconte cela dans Le papillon noir. Cette évocation que je fais n’est pas là par hasard. Dans ce livre les humains sont peu présents, sauf par l’ombre du passage des pèlerins et la trace de ceux que l’arbre mort aime (l’arbre où un oiseau "affirme à qui veut l’entendre qu’il n’y a pas de désert intérieur"). Des jeunes filles, cependant, se penchent sur le ravin, et témoignent de la beauté. 

Pas de bruit. Le silence et quelques chants d’oiseaux (ou "leur immémoriale prière"). 

Des animaux (oiseaux, donc, rapace déjà rencontré, cigale, corbeaux, abeille, et ce papillon jaune…). 

Ce qui est le plus remarquable dans ces denses poèmes, c’est que la nature (végétale, animale) partout a une conscience qui s’exprime. Elle dit, oui, "tous les mystères du monde". Les tiges, sous la rosée sans doute, sont "perlées de rêve et d’illusions". L’eau de la rivière est celle de "l’intelligence". Le coucou apprécie "les voix" qui se dressent "contre les bûchers et pour toutes les libertés". Les champs sont "de lettres nues" et "disent l’avenir", rêvant d’humains (ou peut-être de tous êtres, humains et non-humains) "devenus de petits grains de pollen". (Là c’est à certaines pages de Gabriel Audisio que je pense, poèmes où sa méditation fait pleuvoir des étoiles du cosmos, et nous rêve en traces envolées dans l'espace, les humains laissant la planète continuer sa vie sans l'humain). Le dolmen communique, comme les croix des carrefours (car le poète sait deviner ce langage caché, comme il a su entendre le message de l’oiseau). 

Les pierres parlent, et les chênes, quand les oiseaux font des "confidences". 

Si j’ai pensé au papillon de Richard Moss c’est que le papillon de Michel Cosem en est très proche. Par la perception du vivant non-humain, par un lien avec ce qui dans le monde pense à sa façon, et qu’une conscience humaine peut saisir. Richard Moss a vécu un bouleversement stupéfiant apporté par un papillon. Michel Cosem témoigne d’une connivence avec ce qui l’entoure qui procède d’une connaissance intérieure du même ordre, intuitivement. 

Car… "On aura encore cheminé au pays des mots sur les plus beaux chemins de fulgurance."

Et… 

"Tout au bout une chance essentielle attend."

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Recension © MC San Juan / Trames nomades

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LIENS…

Michel Cosem, Le Printemps des Poètes… https://www.printempsdespoetes.com/Michel-Cosem

Bibliographie. Livres chez L’Harmattan… https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=auteurs...

Page auteur, Alcyone… https://www.editionsalcyone.fr/427376417 

Page auteur, Unicité… https://www.editions-unicite.fr/auteurs/COSEM-Michel/aile...

Encres vives, Michel Cosem… https://encresvives.wixsite.com/michelcosem/edition

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01/08/2021 | Lien permanent

Quelque part la lumière pleut, de MICHEL DIAZ. Poésie (Alcyone, 2022, collection Surya)

michel diaz,quelque part la lumière pleut,éditions alcyone,alcyone,collection surya,surya,silvaine arabo,albert camus,jack kerouac,jean-pierre siméon,françois chengtu savais que le temps se cachait dans le battement de tes cils, mais ne pouvais que demeurer ainsi, et enclos en toi-même, comme un arbre veillant le silence de ses blessures

Michel Diaz, Quelque part la lumière pleut, p. 13 (le titre vient d’un poème de Silvaine Arabo)

on n’écrit rien avec le rien, même en lisant dans son miroir ce vide qui s’étonne, ni rien non plus avec ce qui s’épuise à lutter contre l’ombre

Quelque part la lumière pleut, p. 25

mais surtout j’écoute le vent, j’écoute les murs, j’écoute les âmes

Quelque part la lumière pleut, p. 71

Je regarde d’abord l’encre de Silvaine Arabo qui introduit le livre (juste après un texte avant-signe). Je la regarde avec la même liberté intérieure que celle que j’ai devant les affiches déchirées que je cherche dans le métro, en capturant du regard des fragments pour recréer un autre imaginaire que peut-être personne n’aurait vu. Évidemment, là, nulle affiche déchirée, mais une création pensée, structurée, de l’art.

 

Cependant je sens que je réinvente peut-être l’œuvre (après tout c’est ce que l’œuvre veut aussi, toujours).

Ivresse des vents, est le titre de l’encre. Et voilà, avant d’être un lieu du livre de Michel Diaz, ce qui prolonge ma lecture de Capter l’indicible de Silvaine Arabo, livre où l’air et le vent font l’épure du réel. Mais dans ce livre de Michel Diaz, ouvert par cette image, dans les dernières pages surtout, celles de l’espoir, épure par l’air et le vent, aussi. Parenté d’univers dans l’exigence du regard et de l’écriture. Pas étonnant que ce livre de l’un soit dédié à l’autre. Par la dédicace, par le titre, par un exergue, par la citation finale et bien sûr avec cette encre.

Alors je regarde encore et reviennent deux vers de Silvaine Arabo… (Capter l'indicible).

Ultime salut au vent 

Et à l’oiseau.

Et des mots de son livre, encore. Jubilation, vertige.

Puis deux autres vers d'elle, même recueil…

Ce grand océan cosmique 

Qui nous interpelle sans cesse…

Toujours dans la présence de l’encre qui offre des clés pour lire ensuite au plus juste les pages qui viennent.

C’est cela que je vois dans l’encre, pas étonnée qu’elle soit là. Car l’Ulysse de Michel Diaz était déjà ce voyageur cosmique, dans l’abîme d’une profondeur, interrogeant le destin, les choix, et la bascule toujours possible vers un renoncement, un néant, ou au contraire l’ancrage d’être, démarche métaphysique au-delà des temps (Le verger abandonné, recension à lire ici, lien en fin de note). 

Dans l’encre, serait-ce Ulysse, ce personnage dont l’ombre contemple un gouffre bleu, près d’une sorte de fleur verte géante ? Gouffre de l’infini, car le bleu est sa couleur. Ombres séparées, deux silhouettes sombres, sur une rive ou un bateau, sous un fragment de ciel mauve et un envol d’oiseaux. La solitude des êtres dans les lieux vidés de vie. Mais ayant lu le livre qui suit, je vois aussi la barque de Charon dressé devant l’âme d’un mort et traversant le Styx avec lui. Alors Ulysse est aussi l’auteur écrivant pendant l’hiver du confinement, entendant la litanie quotidienne des morts, et qui évoque les fantômes des êtres perdus, ces inconnus, mais aussi les deuils personnels, ces présences-absences dans une maison. Comment penser nos vies sans penser la mort ?                      Et comment penser le monde tel qu’il est sans penser ce qu’il fait de la mort ? Cela est dans l’encre comme je la perçois, assez riche pour porter tout l’univers des pages de Michel Diaz en même temps que toutes les méditations de Silvaine Arabo.

Je ne peux qu’associer cette encre au logo de la couverture, belle conception de Silvaine Arabo, qui est la marque visuelle de l’édition Alcyone. J'y vois un infini, de la douceur.

Quelque part la lumière pleut.  Magnifique titre, cet emprunt à la poésie de Silvaine Arabo. Thématique commune aux deux auteurs, la lumière. Croire qu’un sens peut émerger, que l’écriture peut faire advenir et transmettre. Ou que, quelque part, cela s’offre si on le déchiffre. La lumière c’est aussi celle qui sourd du mystère de la camera obscura de nos yeux, au profond du regard, et dans la tension entre écrire et être. 

Mais un texte précède l’encre.

La première phrase offre les trois titres des parties du livre.

Dans l’incertain du monde

S’essayer à vivre plus loin

Travailler à l’offrande

Partir du constat, dire l’intention, agir pour un possible horizon.

Superbe texte, entre prose poétique et philosophie. Constat lucide concernant l’état du monde, et élan pour ne pas renoncer, éthique d’une présence agissante, par la conscience dans la création. Dans ce texte je trouve un souffle qui a la force de celui d'Albert Camus dans Noces ou L’Été. Et justement des refus similaires, la même ardeur vitale pour choisir de FAIRE, et un mot commun, qui vient de la même perception d’une nécessité, résister. Recoudre.

Michel Diaz veut (lui et nous, humains) qu’on travaille à recoudre les fêlures de l’âme, et, avec ce qui nous reste de raison… affronter le crépuscule des désastres à venir. Plutôt que d’accepter le désespoir (frôlé dans certains textes…) il choisit d’écrire que rien ne sera perdu dans l'éternité du silence, tant que (…). C’est donc notre choix….

Albert Camus, qui parle du malheur du siècle en refusant lui aussi le désespoir, veut qu’on sache sauver l’esprit, apaiser l’angoisse infinie des âmes libres. Et il écrit que Nous avons à recoudre ce qui est déchiré, à rendre la justice imaginable dans un monde si évidemment injuste (…). (Les Amandiers, dans L’Été). 

Recoudre. Cela signifie qu’on part de ce qui est, et qu’on fait lien. C’est tisser avec le réel, pas avec des projections mentales. Du concret. Chez les deux auteurs la nature, pour rappeler notre ancrage dans le présent matériel et le voisinage du vivant. Du réel. Camus insiste, au sujet des amandiers de son texte. Ce n’est pas là un symbole. Non, pas un symbole, des arbres vraiment. De même la mer présente dans les deux textes. Pour Albert Camus, c’est le vent qui vient d’elle. Pour Michel Diaz c’est, dans cette page, celle que va rejoindre une rivière. Lui aussi pourrait insister et rappeler que la nature dont il parle, si présente, n’est pas un symbole. Elle est le vrai chemin pour ses pas de marcheur, l’ombre vraie du soir avec ses odeurs et ses sons, l’herbe réelle, des arbres qu’on peut toucher, des pierres qu’on ramasse (il en posait, raconte-t-il, comptant des jours dans notre hiver confiné). 

Ce texte d’avant-signe, qui préfigure la structure et la dynamique du livre entier, sera à lire et relire, pour qui veut saisir la densité de l’ensemble. Afin de s’en imprégner et d’en saisir la beauté. Il contient beaucoup, tant la perte que la joie, le temps, le silence, le visage et l’arbre. Et il inscrit une écriture qui n’appartient qu’à l’univers de Michel Diaz, une densité particulière, un rythme qui contient du silence, posé dans les virgules, dans les espaces entre les brefs paragraphes (pour le temps d’une respiration), et dans les mots qui donnent à voir, par touches légères (rose, mésanges, arbre…). Car le regard ne se trouve que dans l’immobilité du regard, même en marchant.

Chaque partie a ses exergues

Silvaine Arabo pour la première. Cinq vers de Triptyque. Pour inscrire le même regard que celui de l’avant-signe, un constat, et le souffle portant au-delà des douleurs.

Ensuite c’est Léon Bralda, La voix levée (pour un rêve vers un ailleurs autre), et Paul Verlaine, Sagesse (L’espoir …).

Enfin, dernière partie, André Gide, Nouvelles nourritures (le don… l’offrande).

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Dans l’incertain du monde

On ouvre les pages et s’offrent encore des paragraphes brefs, sans majuscules ni points, seulement des virgules pour marquer les espaces intérieurs. Écriture du marcheur qui dessine un chemin, un long couloir de mots où je vois l’image du rouleau de Jack Kerouac (Sur la route), comme si l’horizon d’un voyageur et celui d’un marcheur pouvaient se figurer de la même manière. Mais j’ai en mémoire, aussi, de longs parchemins enroulés, portant des textes sacrés conservés dans des monastères lointains. L’écriture et sa part sacrée, avec ou sans dieux. L’absence des majuscules fait couler doucement un fleuve de phrases, sans angles.

La route de Kerouac c’est une errance, sacrée à sa façon. Celle de Michel Diaz c’est une déambulation, autant intérieure que de pas, un parcours libre avec, comme bagage, le regard, des questions, et, peut-être, carnet et crayon. Les questions, c’est justement ce dont l’auteur dit vouloir créer un nœud coulant qui fera du lecteur inconnu le passager d’un espace de silence de funambule, le réceptacle, en son corps, d’une cicatrice inversée, mémoire d’une brûlure. Ambition, pour l’écriture, d’un pouvoir qui est très loin de la fadeur mièvre.  Une conception de ce que doit être la poésie, le contraire d’une jolie distraction. Conception active de la lecture, faite pour des mains tisonnières capables de chercher la lumière dans les traces du feu qui a brûlé les questions (et les réponses ?) par l’écriture. L’inconnu est aveugle, mais muet aussi. Car pour lire il faut se défaire de son propre regard et de ses propres mots, accepter l’effraction de pensée par les yeux et les mots d’un autre. 

Et effectivement on voit, avec les yeux du poète, traçant un poème-prose, un paysage de feuilles, terre, ciel, et forêt, yeux grands ouverts qui sont les yeux de l’âme.  On est dans un crépuscule d’ombres et étoiles, on entend les voix obscures devinées.

Écriture du temps du confinement, où la réalité extérieure reste cependant violemment présente, un monde toujours en guerre contre les vivants et contre la vie elle-même (…) peu d’horizon à cette absurde conjoncture qu’est le fait d’être né

Il cite Samuel Beckett (… juste avancer) et Michèle Vaucelle (déglutir le monde). Alors il faut écrire, et ce monde le restituer dans le cri. Injonction intérieure, éthique affirmée. Exigence qui croise celle de Jean-Pierre Siméon (La poésie sauvera le monde), quand il définit la poésie comme un acte de conscience aigu en s’appuyant sur Roberto Juarroz, qu’il cite (la poésie… accélérateur de conscience). Ces deux mentions conviennent à la démarche de Michel Diaz, à la brûlure du poème vrai. Et de même ce que dit encore Jean-Pierre Siméon sur la poésie force d’objection empêchant de se détourner du réel tel qu’il est et tel que le livre la poésie. C’est cette vérité du langage qui ne ment pas que propose ce livre, tout en cheminant vers ce lieu où la lumière pleut.

Au bout du réel il y a la mort, celle que pense le guetteur crépusculaire qui écrit, et qui parle de nos peurs, et des impulsions de survie qu’on dresse comme des écrans.  

Ce livre ouvre ses pages, et il renvoie à d’autres chants, tristes ou pas. Au-delà de toute mélancolie il ouvre d’autres livres et entre dans un concerto de poèmes. Pas n’importe lesquels, ceux qui contiennent le feu du duende (Lorca…). Ainsi, le lisant, j’entends, comme en surimpression, le Chant des âmes retrouvées, poème unique qui clôt le livre de François Cheng, ses récits de Quand reviennent les âmes errantes

La mort a eu lieu ; la mort n’est plus, écrit François Cheng.

Et Michel Diaz poursuit sa méditation.

Il est celui qui penche son visage sur la mer (et nous aussi, lisant). Il regarde, écoute, accepte d’entendre les cris de peur, de douleur et de guerre, malgré le bruit des tumultes du monde, bruit  qui les recouvre, masque. Sachant le silence il se lave et nous lave des bruits. Tension d’écriture, dire et les cris et le silence (celui qui permet d’atteindre le centre de la parole essentielle).

J’ai remarqué des reprises de mots sur une même page, toujours en tête des paragraphes. 

Par exemple, tu et peut-être (p.11), deux fois chaque. 

Et, page 17, répétition de celui qui penche son visage sur la mer, deux fois.

Prolongé, page 18, par trois paragraphes commençant par je l’eusse aimé (celui qui…).

Ou ce vent, page 28, deux fois. devant, p.31, trois fois. 

la nuit, tu marches dans toi-même, p.39, deux fois.

tu vis, tout le long de deux pages plus un paragaphe,p.42-43. Anaphore… 

Je pourrais donner deux ou trois autres exemples. Et le dernier, offrande, p.86.

L’effet est rythmique. Ces mots ou bribes de phrases sont comme le battement d’une basse dans une composition musicale, permettant ensuite comme un envol du souffle.

Je relis la page 18 et c’est tout son Ulysse que je retrouve, présence du personnage mythique tel que le voit Michel Diaz dans Le verger abandonné. Solitude libre qui assume tout de ses choix. Ulysse n’est pas nommé ici, pas évoqué. Mais son esprit hante cette page, à cause des étoiles, du corps ployé dans le vide, à cause des vagues, et de cet être, seul parmi les hommes (…) intraduisible et seul (…) unique survivant d’un impossible dire et d’une impensable pensée

Seul comme beaucoup dans ce temps de confinement. 

Et s’il y a le matin, les collines, l’herbe, la terre, l’horizon est vide d’êtres…

Fracture bouleversante, le texte dédié à sa mère. En pleine période d’épidémie et d’enfermement, elle glisse dans l’oubli sans limite. Et il la voit se noyer au fond dâ

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Deux recueils. Obscur éclat, de Carolyne Cannella. Et À feu tenu, de Michel Cassir, éds. Unicité

obscur éclat,carolyne cannella,à feu tenu,michel cassir,saad ghosn,éditions unicité,poésie,mexiqueCe qui me fait rapprocher ces deux ouvrages c’est la proximité de la démarche, d’une part, une volonté d’aller au-delà des apparences, d’accepter le mystère. Et, d’autre part, le constat de l’influence du métier (quand il est vécu en profondeur) sur l’écriture. Carolyne Cannella est musicienne et écoute le réel autant qu’elle le regarde, et Michel Cassir est chimiste et riche de plusieurs univers culturels, ce qui fait que son savoir professionnel, devient, quand il écrit, une porte vers la surréalité où chimie est seuil d’alchimie.

Enfin il y a, dans ces deux livres, une conscience du rapport avec ce qui englobe tout, qu’on l’appelle Un ou autrement. obscur éclat,carolyne cannella,à feu tenu,michel cassir,saad ghosn,éditions unicité,poésie,mexiqueEt le thème de la mort est présenté dans ces pages avec une dédramatisation qui remplace le tragique par un accès à l’imaginaire du réel. Mais il y a aussi un lien par la musique, comme le dit un article sur Michel Cassir (agendaculturel), notant qu’il explore depuis de nombreuses années les voies de l’oralité et de la musique.

 

 

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obscur éclat,carolyne cannella,à feu tenu,michel cassir,saad ghosn,éditions unicité,poésie,mexiqueObscur éclat, de Carolyne Cannella, Unicité, 2022

Dès le titre, un regard qui utilise l’oxymore, associant obscurité et lumière. Mais est-ce si paradoxal, quand on retrouve cela dans la démarche du peintre Pierre Soulages, avec son noir-lumière, son outrenoir. Et, titre, Baudelaire et Les fleurs du mal, cela provoque aussi un choc similaire, les fleurs signifiant plutôt la beauté douce, une lumière, loin de l’ombre du mal.

Chez Soulages c’est le reflet lumineux qui est révélé dans le noir. Et l’obscur éclat, ce peut être à la fois la part d’ombre qui se cache dans la lumière, et celle de la lumière émergeant de l’ombre, ce qui demande à être déchiffré, regardé autrement, cherchant l’invisible derrière le visible.

Giovanni Dotoli insiste, en préface, sur le rapport au temps et à la mort, pas perçue comme une fin et rien d’autre mais comme un autre seuil.

Dans le premier poème du recueil on a des identifications qui offrent une fusion avec des réalités minérales, végétales, animales, pour dire une perception de l’appartenance au Tout du réel. Cette ouverture donne sens aux autres textes, dans la conscience d’être à égalité avec les choses.

La lumière n’est pas que celle du dehors regardé, mais une donnée de l’être, irradiation intérieure autant que réception de ce qui vient  de la nature et de l’arrière-présence d’un monde invisible…

l’invisible frémit

Ce que recherche celle qui écrit c’est un savoir intérieur qui accepte ce qui s’abolit… Vers le néant de ta propre lumière.

Ce qui s’abolit devient…

cette éclipse de soi-même

                                           en un plus grand que soi

L’écoute trouve… un silence / gorgé d’Infini

Recherche de ce qui transcende les apparences du visible.

Partout la trace / D’un absolu / Que rien n’efface

Absolu pensé pour soi, pour tous, ces… prisonniers du temps.

En espérant révéler… le visage voilé / de l’intangible Unité.

Percevoir cela, pour la musicienne qu’est l’auteur, c’est entendre…

la mélodie essentielle

Et penser la nuit en se référant à San Juan de la Cruz.

L’ultime, c’est accueilllir (…) l’obscurité aussi

LIENS...

Obscur éclat, la page des éditions Unicitéhttp://www.editions-unicite.fr/auteurs/CANNELLA-Carolyne/...

Page, sur Babeliohttps://www.babelio.com/auteur/Carolyne-Cannella/584425

Page Recours au poème… et lienshttps://www.recoursaupoeme.fr/auteurs/carolyne-cannella/

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obscur éclat,carolyne cannella,à feu tenu,michel cassir,saad ghosn,éditions unicité,poésie,mexiqueà feu tenu, de Michel Cassir, Unicité, 2022, avec les gravures sur bois de Saad Ghosn (collection Le metteur en signe)

Le livre s’annonce sous l’ombre véloce de Juan Rulfo, sous le signe du Mexique. Et le titre, avec le feu, évoque celui d’un ouvrage de Juan Rulfo, Le llano en flammes. L’auteur franco-libanais s’est associé à un artiste libanais exilé aux Etats-Unis, qui a, comme lui, connaissance et goût de la culture mexicaine.

Mais le premier poème, qui rencontre le sujet de la première gravure, l’arbre, n'évoque pas seulement un tronc et ses racines, mais un symbole universel au-delà d’un ancrage d’appartenance, une dimension pluriculturelle, car l’arbre d’origine dit l’humanité entière, et même plus, le signe d’un commencement de toutes choses.

On est au Mexique, et on voit une Indienne (donc Amérindienne) portant son infortune, alors que sa marche la délivre du poids (on entend ses pas la délester) tandis que, poème qui suit, un huichol possède / l’alchimie de la nuance. C’est une pierre, une obsidienne du Mexique, aux reflets délicats, à laquelle on attribue des pouvoirs protecteurs.

Le monde du Mexique c’est aussi l’univers du mezcal, un alcool associé aux fêtes avec mezcal et travestis… Mais, degré autre, les boissons mexicaines venant du cactus, plante que les chamans utilisent pour changer de registre et voir autrement, n’ingérant que l’imaginaire de la plante. Deux mondes en un, la fête et ses dérives possibles, le sacré, qui fait passer (vertige)…

 d’un dieu à l’autre

 mystère de l’univers.

Les gravures représentent des personnages fantasmatiques, mi-êtres, mi-monstres, rêves ou cauchemars, c’est au choix, visions qui pourraient être celles d’une expérience de transe. Créations imaginaires ou puissances venues des plantes, selon les croyances et les expériences. Le poème y peint aussi des images de morts, pas si effrayantes finalement. Car les morts qu’il imagine (ou pense) tapis sous terre et plantes sont là…

créant le miracle

vivre et mourir

sustenter l’éphémère

Dans cet univers où le rêve des enfants côtoie celui d’un monde complexe, on peut inverser les dimensions et l’espace, et comprendre que…

des nageurs

exploraient les étoiles en eau sombre.

Multiple regard sur les corps.

Il y avait eu l’Indienne portant son infortune, donc le corps de la réalité sociale avec ses souffrances. Puis le corps prisonnier de l’âme’(paradoxe). Ensuite le corps dénoué vers l’infini (peut-être grâce aux drogues, cette sève des pouvoirs). Et enfin c’est le corps des créations en céramique (on retrouve le feu créateur), une bascule vers autre chose encore… l’homme en boue / sublime de vent / et de mezcal.

Et le visage ?

le visage est le poème

du temps déchiqueté

par les corbeaux

Est-ce contradictoire ? Peut-être pas, suivant la lecture qu’on peut faire de ce fragment. Si les corbeaux tuent le temps le visage demeure visage.

Mystère du réel, dans un poème passent les esprits errants / de Juan Rulfo.

Les sommets de la montagne sont ceux d’une vraie escalade difficile mais on y devine aussi une métaphore, comme pour le désert, ensuite. Marche vers soi, recherche parfois vaine de la quiétude.

Nager dans l’eau des sources (…) cela s’appelle revigorer / le crépuscule. En étant conscient de ce qui entoure, montagne et arbres. Mais plus fort, quand cela fait devenir ce que l’on voit, en fusion avec ce qui est, comme l’auteur le dit du volcan…

Je ne peux comprendre

ce qu’est un volcan

si je ne le deviens pas

instantanément.

Évidemment il y a le serpent sur des gravures, notamment celle aux étoiles et au couple très sexué. Serpent biblique (peut-être, tant il y a mélange des mythes dans cet univers) ou serpent cosmique (celui de l’anthropologue Jeremy Narby, et le mystère des savoirs chamaniques venus des plantes, le serpent, l’ADN, la conscience…).

Le poète évoque les serpents de la jungle… qui simulent des racines, et la jungle, à la fois menaçante et accueillante, et offre sensuelle / ou métaphysique.

L’auteur est fasciné par l’univers du Mexique et effrayé par cette fascination même, par les forces (eaux dormantes…) qui s’emparent de l’esprit.

LIENS...

à feu tenu, la page des éditions Unicitéhttp://www.editions-unicite.fr/auteurs/CASSIR-Michel/a-fe...

Sa page, éditions l’Harmattan (où il a aussi créé une collection)… https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=auteurs...

Article, Agenda culturelhttps://www.agendaculturel.com/article/Audio_Michel+Cassi...

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29/06/2022 | Lien permanent

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