27/05/2015
Andalousie ? Non : Andalousies... Identité, histoire, livres.
J’appelle à des Andalousies toujours recommencées, dont nous portons en nous à la fois les décombres amoncelés et l’inlassable espérance.
Jacques Berque, né en Algérie, leçon de clôture prononcée au Collège de France, en juin 1981.
Ancestrale Andalousie à l’histoire complexe, aux récits parfois contraires. Et même si la réalité est recouverte en partie par une mythologie idéale, il reste des mémoires transmises, qui touchent à un mystère identitaire. Ce qui est passé, de génération en génération, c’est un goût musical commun à plusieurs rives, les mêmes chants, un tissage de langues, une esthétique visuelle, architecturale notamment, qui transcende les frontières. Et des visages qui se ressemblent, car les gènes, au cours des siècles, ont circulé... Emprunts biologiques nés d’amours frontières. Andalousies, dit Jacques Berque, car ce pluriel donne une direction à la fraternité que les êtres humains, malgré tout, cherchent. L’Andalousie a ceci de particulier, qu’elle reste, plus qu’une région, une patrie intérieure des exilés, longtemps après qu’ils aient raconté leurs migrations, ou leur fuite, longtemps après, chez leurs descendants. Elle se fait centre diasporique, repère. Et quand on entend chanter Marlène Samoun, pour des chants sépharades en plusieurs langues, ou qu’on entend le violon ou la voix de Rachid Brahim-Djelloul, on part dans un voyage intime, on pénètre dans les douleurs et les joies de milliers de noms (avec les nôtres peut-être), dans un passé lointain, et dans le présent si proche qu’il suffit de quelques mots en espagnol ou de quelques heures en train, pour traverser le temps... Elle est peut-être, notre Andalousie métisse, la patrie intérieure de tous les humanistes, de tous ceux qui refusent les entraves de la haine, les pièges des barrières
Il y a aussi, dans la souterraine identité andalouse (et espagnole), la conscience marrane. Ce mot peut se lire comme une injure faite aux conversos (porcs, pour ne pas vouloir en manger), ou trouver dans l'hébreu le sens de consciences forcées (à la conversion). Car des 5% de Juifs, seuls 12% partirent. C'est ainsi que certains donnèrent des saints chrétiens, authentiques mystiques ne sachant plus leur identité religieuse familiale (car leurs parents les protégeaient en ne la leur disant pas...). Et c'est ainsi que l'Espagne andalouse s'interrogea beaucoup, après le franquisme, sur les interférences cachées de ses visages culturels et spirituels...
On peut aller plus loin dans les questions, et sentir, encore plus, le ridicule des enfermements identitaires. Zev ben Shimon Halevi (Warren Kenton), kabbaliste anglais fascinant, écrivit un roman initiatique sur l'Andalousie des mystiques, "L'Envoyé de l'Esprit", publié d'abord en anglais à Londres et à New York, puis en français en 1991. Rencontres de destins, groupes hétérogènes qui s'enseignent. Talmud, kabbale et soufisme qui se frôlent et s'interpénètrent, familles qui se croisent... Chrétiens récents aux antécédents juifs "ou" musulmans, et même juifs "et" musulmans. Cela commence par "un matin glacé du printemps de 1491". Cela finit sur une scène de mort et son contraire. On parle de "l'envoyé de ce temps". (Non le Messie final des uns ou des autres, mais le "Katub", un esprit ordinaire en apparence - singulier ou pluriel - qui supporte le monde par son feu intérieur... Que les êtres ne reconnaissent pas, ou reconnaissent, et qui meurt, comme tous, suivi par un autre.) Il y a Rachel et Avraham, Hakim et Mora, à la fin, page 239. Rachel... "Mon père était juif et ma mère maure, avant que nous devenions chrétiens.", avait-elle dit, page 100...
Encore plus loin? Si on parle à un taoïste ou un mystique tibétain, il dira que, sans doute, dans d'autres vies que parcourut notre âme, nous avons, nous, parcouru plus que des vies. En voyageur d'identité... Juif une vie, musulman une autre, chrétien la suivante, athée cérébral une autre fois, ou avant. Agnostique, souvent, en recherche de lucidité. Méditant parfois, et sage, peut-être, ou fou. En tout cas ennemi de soi-même dans les vies d'intégrisme, d'inquisition, de fermeture communautaire, tuant son miroir ou son frère. Mais il dira aussi qu'au bout du bout du temps (qui n'est pas ce que l'on croit) on finit par prendre conscience de ce que sont les mirages de nos rivages intérieurs, et par se voir soi-même dans l'autre, sage ou fou. Car notre réalité est une mise en abyme...
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LECTURES....
El Ideal Andaluz, de Blas Infante, Sevilla, Arévalo, 1915. Réédition du livre, Sevilla, par Junta de Andalucía, 2010, centrodeestudiosandaluces.es
Al-Andalus, 711-1492, Histoire de l’Espagne musulmane, de Pierre Guichard. Sur le site Bibliomonde : http://www.bibliomonde.com/livre/andalus-711-1492-1814.html...et...Al-Andalus, 711-1492, coll. Pluriel… https://www.fayard.fr/pluriel/al-andalus-9782818501917
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Sites...
L’Andalousie par elle-même, Así es Andalucía, andalucia.org : http://bit.ly/1RmaP9r
Fiche wikipedia. Andalousie. (liens, dont portails): http://fr.wikipedia.org/wiki/Andalousie
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Notes antérieures...
Multiples liens, livres et musique, sites dédiés, aussi : http://tramesnomades.hautetfort.com/archive/2011/03/07/andalousies.html
Autre note, complémentaire, le 11-03-11.
02:36 Publié dans ANDALOUSIE.culture andalouse, LIVRES, bibliographes, anthologies | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : andalousie, identité, histoire, spiritualité, mystique, fraternité, jacques berque, marlène samoun, rachid brahim-djelloul, blas infante, gabriel martinez-gros, pierre guichard, espagne, zev ben shimon halevi, warren kenton, citations, livres
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