28/07/2016
Le sabre et l'esprit...
"Il n’y a que deux puissances au monde, le sabre et l’esprit. A la longue le sabre est toujours battu par l’esprit." Napoléon (...!) à Las Cases. Cité dans la chronique de Marie-Laure Delorme sur le livre de Jean-Paul Kauffmann, "Outre-Terre" (la bataille d’Eylau, Napoléon..).
La mort, les crimes atroces, comment penser cela, comment penser les assassinats violents et comment penser les assassins, pour lutter contre ce qui les détermine? Parce que cette réalité n’est pas la même que celle du nazisme, avec un pouvoir repérable, un pays, la guerre. La dimension insidieuse est en plus, le travail souterrain d’ennemis masqués qui tissent leur toile maléfique, avec leur propagande qui fanatise. Pour penser il faut lire, écouter, échanger, et encore lire, au-delà de la presse, livres qui approfondissent (et au minimum chroniques qui en tirent le questionnement essentiel, car on ne pourra tout lire…). Ainsi, cet ouvrage de 2009, réédité : La pensée extrême. Comment des hommes ordinaires deviennent des fanatiques, de Gérald Bronner.
"Ne pas rester sur l’image d’une désespérance qui, actuellement, alimente les démagogies d’extrême droite", dit Jean-Louis Laville, cité par Julie Clarini, dans Le Monde du 25 mars 2016. Le sujet était la crise intellectuelle dans la pensée de gauche ("Nombreux sont les intellectuels tétanisés. Ils ont l’impression qu’un monde se défait", disait-il aussi). Mais on peut adapter cela à cette période longue d’attentats qui se succèdent, ici et ailleurs, et qui mettent les survivants et les témoins en état de sidération (nous le sommes tous, à divers titres, témoins, même de loin : par les informations, les images, les témoignages, l’émotion). Et ce qui va nous être nécessaire c’est de lutter contre l’impression que notre univers se défait, qu’il ne reste que le désespoir, ce grand piège compréhensible…
Même si un certain pessimisme est une des formes de la lucidité, parfois. Comme celui qui advient quand on découvre les faces sombres de pouvoirs qui manoeuvrent en coulisses obscures, parce qu’on maîtrise une langue qui permet d’entendre des voix masquées en traduction… Ainsi l’explique Kamel Daoud dans une chronique du Point (5 mai 2016) sur le bilinguisme cause de souffrance : "Le bilinguisme est aussi un pessimisme". Car il peut lire et entendre les discours de haine soutenus par de faux "alliés" de pays occidentaux, qui auront un autre langage (celui du masque) quand il s’agira de manipuler (ou d’acheter des armes…).
"Pour éradiquer le terrorisme islamiste, les mesures sécuritaires ne suffiront pas. Il faudra aussi lui opposer la force de l’esprit." Sébastien Le Fol, Le Point, 11-02-16. D’un côté, le sabre des armes de mort (quelles qu’elles soient) et le sabre de l’idéologie totalitaire, d’une sorte de fascisme qui impose sa vision religieuse comme un outil de domination (l’islamisme, le pétrole irriguant la Mecque qui prend les croyants en otage et participe au formatage wahhabite en uniformisant un islam qui est en réalité pluriel), et d’un autre l’esprit, la pensée, la création, l’humour, la libre conscience. Sébastien Le Fol dit qu’il "faut disséquer cette idéologie apocalyptique" qu’est l’islamisme et opposer (notamment sur les réseaux sociaux) la dérision et l’humour : "Pour terrasser l’hydre djihadiste, nous devrons aussi la tourner en ridicule".
C’est ce qu’ont compris les Marseillais, dans leur réponse aux menaces de Daech. Par tweets moqueurs, posts divers et même vidéo à visage découvert (l’ironie et le courage). C’est un régal. Sur MétroNews : http://www.metronews.fr/info/quand-les-marseillais-se-moq... Et sur Libération (pour sourire deux fois, avec des variantes) : http://www.liberation.fr/societe/2016/07/22/sur-les-resea...
Mais je repense aussi au témoignage du luthiste irakien Naseer Shamma, qui, avec la musique, par l’enseignement de la maîtrise de l’oud, a sauvé un jeune Irakien désespéré par la mort de ses soeurs à cause d’une bavure militaire. Il l’a sauvé de la haine qui allait le faire basculer dans des choix extrêmes. En lui disant que la musique exprimerait les absentes et serait son langage. (J’avais fait une note sur lui au début de l’année). Ce jeune a trouvé devant lui une personne au moment exact où il le fallait et la personne qu’il fallait. Naseer Shamma n’a pu faire passer un tel message que pour avoir été loin dans sa propre démarche intérieure. Malgré son pays ravagé, malgré son engagement, c’est de musique dont il a parlé en ouvrant un horizon d’espoir. Bien sûr tout le monde n’a pas un luth à mettre sous les yeux de quelqu’un qui serait habité par une colère personnelle ou d’emprunt. Mais tout le monde peut être une présence (écoute et parole) parmi les autres.
.......... MISE à jour, 29-07-16. Deux réflexions au sujet du terrorisme et de la manière de le penser... Amin Zaoui, dans Liberté.dz. Réaction au dernier attentat, 28-07-16... http://www.liberte-algerie.com/chronique/flaubert-et-les-...
Et Kamel Daoud, La Cause littéraire. Chronique de mai 2015, toujours valable... http://www.lacauselitteraire.fr/un-mort-est-la-somme-de-s...
Plus... le texte essentiel d'Abdennour Bidar, envoyé comme communiqué à l'AFP, et publié sur son site (Édito de juillet 2016, lisible alors en accueil). Réaction aux attentats et pistes pour agir : http://abdennourbidar.fr
00:18 Publié dans ACTU/MÉMO.valeurs.idées | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : extrémisme, islamisme, humanisme, gérald bronner, la pensée extrême, naseer shamma, terrorisme, idéologie
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