Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

08/08/2024

Deux recueils de Teo Libardo

D’abord, présenter l’auteur. Teo LIbardo est né en Italie. Passé de l’exil à Lausanne au choix de la France, sud et soleil. Poète, il est aussi peintre et musicien. Et cela se sent dans ce qu’il écrit. Il regarde et écoute.

Ensuite, expliquer le sens du nom de l’édition, Rosa canina. Ce rosier a des racines qu’on croyait guérisseuses de la rage. L’édition évoque d’autres formes de la rage (comme la haine), tout ce qui corrompt l’humanité. Et elle fait ainsi de la poésie un rosier mental qui va tenter de répondre par des propositions donnant sens autrement.

Les deux livres lus sont Là où germent les mots, suivi de Les yeux naufragés (2020) et Il suffira (2021).


LIvre 1 Teo LIbardo.jpgLà où germent les mots

Dans le premier poème, l’auteur évoque son ombre, qui semble le porter, soutenir, et diriger ses pas. Qu’est-elle, sinon la preuve de la lumière ? Mais que signifie-t-elle aussi ? Peut-on y voir l’évocation du concept jungien ? C’est difficile de ne pas y penser. Dans le poème elle a un savoir qu’elle semble seule à posséder, un pouvoir, aussi, et les « filaments » qui « murmurent » disent une prescience du « ventre », cet autre cerveau où parle l’inconscient. S’il écrit « je cherche », et voit alors que « l’eau se trouble » on peut comprendre qu’il veut déchiffrer ce qui échappe à la conscience du moi, la part d’inconnu à soi-même que représente l’ombre. Mais ce n’est pas que négativité, puisque, là, les mots témoignent d’un processus de dévoilement, et c’est pour cela que l’ombre « porte secours ». Mais elle est aussi une représentation du double en soi, celui qui sait plus qu’il ne croit, possède une connaissance enfouie, celle qui fait émerger des mémoires et advenir les mots. Si cette présence ou perception s’efface, alors c’est la solitude, note-t-il.

L’univers nocturne mêle « la porte de la guerre » et les « infinies tendresses » dans le temps du monde. Vivre, et désirer vivre se heurte à ce qui gêne le bonheur : « les songes du monde / sa douleur / son désordre ». Et les rêves de celui qui dort ouvrent des mirages qui font sens, cherchant à déchiffrer peut-être une faille, une fragilité : « ta déchirure est le centre / vers lequel tes rêves abondent ».  Au réveil il y a le regard sur le réel, ou ce qui peut-être est le réel, car le poème laisse la question ouverte sur « ce qui est réel ou non ». Et il y a la solitude des êtres, que seul l’amour annule. Pas seulement pour soi-même : « les amoureux ne font que porter le monde ». Cela me fait penser aux croyances ou mythes des quelques sages, ermites méditants cachés, qui, par leur conscience, libre des négativités humaines, et par l’ouverture de leur cœur à l’amour inconditionnel, porteraient le monde du fond de leur solitude qui n’est pas vécue comme solitude mais connexion à tout, donc nous et le reste... C’est une belle image que ces amoureux, qui, simplement pour s’aimer à deux, font jaillir une source contre la haine et les morbidités. Le hasard m’a fait lire aujourd’hui un chroniqueur qui parlait de deux jeunes de vingt ans, croisés, dont l’amour resplendissait. Lui pensait être passé de l’autre côté de ce temps des jeunes amours et n’exprimait qu’un désir, qu’ils s’aiment longtemps, eux. Sans doute avait-il l’intuition de ce que le poème dit ici, que ces jeunes offraient leur amour à la vie de tous, donnant un sens contre la mort, effaçant même la solitude d’autrui.

Dans un poème, ensuite, « la pluie tombant dans la poussière du temps » laisse la place à « une lave incandescente inconnue ». Métaphores des perceptions, la force et les paradoxes des sentiments humains, ce qui lave et ce qui brûle.  Dans ces pages il rapproche des réalités antinomiques : « effrois vertiges », « ravages bienfaits ». Car l’oxymore indique que dans tout ce qui est vécu par soi et par tous il y a le paradoxe de « l’humaine splendeur » et de « l’humaine désespérance ». L’eau et le feu en sont le miroir métaphorique dans ces pages.

Mais la vie crée, émerveille : « un chant m’éblouit m’illumine ». Même si alternent des consciences de soi comme à l’arrêt : « le vide / même pas l’ennui / la trahison de soi / l’oubli » (...) « l’absence ». Cet écart qui sépare de soi est insupportable car « nous attendons la fulgurance au détour de l’ivraie ». Alors changer le rapport au temps pour retrouver la douceur de l’instant : « Renverser le temps comme retourner un sablier ».  Le dernier poème, reprenant le constat de la permanence des contraires, avec lesquels il faut vivre, dit « la souffrance et les pourquoi » des humains, mais aussi le rêve et l’espoir. Derniers mots : « l’espoir sans l’attente ». Formule de raison, car attendre limite à une passivité morne.

....................

La deuxième partie du volume, Les yeux naufragés, est très différente, c’est un ensemble distinct. Écriture aphoristique, distiques ou vers seuls, un seul texte en quatre lignes. Cependant il y a un lien, la notion de naufrage étant présente dans la première partie. Un poème mentionnait la nuit « naufragée » (pour laisser, au réveil, les « simulacres » des rêves). Et le dernier texte fait ce constat : « solitude et joie naufragées » quand il y a « oubli » et « manque ». Naufrage, c’est un risque, dans les moments d’absence à soi ou au monde.

On lit ces fragments comme les traces d’une méditation, des sentences qui refusent de l’être. L’axe principal reste le paradoxe, le goût de vivre et la conscience de la mort dans la vie, celle de la présence des contraires et contradictions du vivant, les évidences incontournables du vivre et du mourir.  Y a-t-il « une tristesse d’être heureux », « un désespoir heureux » ?  Entre les « fulgurances » du bonheur et le « tintamarre » du monde comment penser la solitude ? Est-elle « le premier et dernier rempart contre la barbarie », ou ce qui peut tuer ?  Qu’est « la vraie vie » si « l’art ne suffit pas » ? Quel bonheur possible dans « le chaos du monde qui nous mène à la guerre » ? Vivre serait choisir « les déraisons » plutôt que la « sagesse », pour garder ses « inquiétudes ».  Conscient de cumuler en soi « savoir » et « ignorance », « vanité de nos actes » et leur « innocence ». Ou le doute. Ou l’illusion, maya, des Hindous. Car les « yeux naufragés » sont ceux qui savent ne pas voir tout du visible et trop voir de ce qui détruit. Mais si on se rappelle que l’auteur est peintre on comprend ce naufrage des yeux dans la douleur du regard sur le monde, son « chaos » contre ce qui veut être la joie de transcrire la beauté. Cependant, ouvrant son être à « la multitude » choisir la joie reste possible.

.................................................................

Livre 2 Teo LIbardo.jpgAutre ouvrage, Il suffira

Le titre intrigue, mais, avant même de lire, ayant en mémoire les pages du livre précédent, on croit deviner l’intention. Puisque sont connus les paradoxes de la vie et de la conscience, pour vivre et créer il faut poser une décision, qui comprend la mesure des limites à définir. Et c’est le premier vers : « Il suffira de le vouloir ». C’est au futur car c’est en devenir. Désiré, décidé, mais dans le tremblement intérieur de l’incertain, dans une dynamique intime, pas dans une évidence déjà donnée.

À ce qui est « insensé », opposer le désir de ce qui fait sens : « au sein de la vie de l’abîme / se love l’amour ». Et comme dans le livre précédent, retrouver l’acceptation des contraires qui sont pareillement la vie. Désir « de tempête et de calme / de fracas et d’extase ».  Accepter « ce qu’il faut de sang et de rouille » pour que la terre « se transforme en demeure ». Le leitmotiv « Il suffira » trace un parcours, un itinéraire intérieur. Il suffira... « d’errer », de « s’abandonner ». Donc de lâcher prise, pour laisser advenir ce qui doit être. Mais « ouvrir l’immense / l’infiniment petit » c’est encore une autre dimension, un autre rapport avec sa conscience et ce qui la dépasse, que la science peut aider à comprendre, ou la présence à soi : « danser ». Car la danse magnifie l’absolu du geste, crée une verticalité entre ciel et terre, annule la pesanteur, fait penser avec un corps qui a un autre savoir que le seul mental.

Le texte qui suit est en italique. Il échappe aux injonctions. C’est la métaphore de l’eau, rivière pour dire le flux d’une liberté murmurée.  De nouveau, « Il suffira ». Mais c’est un chant, la musique, une « psalmodie subjuguante ». Ce chant « oublié renaissant » a le pouvoir d’effacer « pour un instant / les présages immémoriaux ». C’est le musicien qui parle. Car il sait que la musique fait accéder à une connaissance intérieure intégrant psychisme et corps. Continuer, en se laissant vivre les émotions, et voir dans « une mélancolie » autant la tristesse que la fleur qui porte son nom.

Le chant qui suffirait est d’ailleurs inscrit en un long poème très musical par le rythme, les silences, le mouvement de l’eau, les métaphores. C’est de nouveau en italique (les messages de l’eau, pour donner forme à la fluidité). Mais juste après, dans le poème qui suit c’est le feu, et la litanie de tout ce qui suffira. Imaginaire du chaman qui crée et réinvente le feu, le rêve, se recréant lui-même. Je ne sais pas si c’est volontaire et conscient ou pas, mais voir dans « le chatoiement viscéral » de ce feu « la souterraine racine (...)/  créatrice d’absolus », le révélateur de « l’énergie première », cela fait penser à cette énergie que les adeptes de pratiques méditatives nomment kundalini, toujours liée au feu, racine dont l’éveil révèlerait une métamorphose de la perception du réel et de soi... Ensuite, le regard... « d’un œil expressionniste », donc accueillant aussi les émotions. Et de nouveau le feu, alors qu’est mentionné « ce qui n’a pas de nom ». Une série sémantique nomme les traces du feu : cendres, flamme, feu, incandescence, embrasement, calcination, pour saisir « ce qui est tu ».  L’absence de mots pour désigner « cet ailleurs et ce demain » renvoie en partie à la mort (« nos os et nos cendres » de ce « demain »), mais aussi au mystère de « la subtile rencontre ». Que rencontre-t-on si ce n’est soi, ou le sens, « l’essentiel » mentionné dans l’autre poème sur le feu ? Plus loin, dernier poème, ce sont les mots qui « prennent feu », et prennent « joie », « vie ». Mots « d’une nuit » ... « en route vers l’aube », dernier vers, ouverture.

Recension © Marie-Claude San Juan

LIENS :

Rosa canina éditions… https://rosacaninaeditions.jimdofree.com/

Teo Libardo, page Rosa canina… https://rosacaninaeditions.jimdofree.com/les-auteurs/teo-libardo/

Site personnel... https://www.teolibardo.com/

Teo Libardo, espace L’autre livre… https://lautrelivre.fr/p/teo-libardo/

Écrire un commentaire