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19/08/2023

Lionel d'Arabie, de Daniel Saint-Hamont. Livre de mémoire, hommage rendu au père. Orients-éditions

lionel d’arabie,daniel saint-hamont,jean-paul enthoven,orients-édition,algérie,histoire,fraternité,humanisme,valeursLe livre, Lionel d’Arabie (Orients-éditions, 2020), hommage rendu au père, est offert par l’auteur en dédicace à sa cousine, Zineb Hadj Hamou Ferroukhi, avec la mention « Algérienne invaincue ». Elle est évoquée aussi dans ces pages, et semble être un pilier familial, comme le fut, diversement, la grand-mère Aïcha (accueillant sa belle-fille chrétienne).

Daniel Saint-Hamont, est fils d’un ciel camusien, dit le préfacier, Jean-Paul Enthoven, né dans la même ville que lui (Mascara, donc). Peut-être que la lecture de cet ouvrage a été pour le préfacier, co-auteur d’un Dictionnaire amoureux de Marcel Proust, une madeleine de mémoire, alors qu’il se dit fils indigne du même sol. Fils indigne, peut-être pas, fils douloureux au moins, si on comprend, à ce qu’il écrit, ce besoin de congédier ces souvenirs, ceux des rues chaudes de leur ville commune. Il n’est pas seul à faire cela. On peut nommer : effet d’exil. Sa lecture de l’ouvrage est en totale empathie. J’ai aimé sa perception du père et de l’oncle de Daniel Saint-Hamont, son idée d’uchronie pour caractériser leur rapport avec un passé pour lequel ils rêvent d’une sorte de possible non advenu, n’ayant au cœur, l’un et l’autre, que l’amour du pays et le désir de paix. Uchronie, donc, et cela provoque le titre de la préface : La Guerre d’Algérie n’aura pas lieu ! Oui, une autre Histoire aurait été possible, une indépendance autrement, si tous les natifs d’Algérie avaient eu ce goût de la fraternité, et su faire le choix du métissage, comme dans la famille de Daniel Saint-Hamont. Alors aurait été possible ce que disait Mouloud Feraoun à Albert Camus, sur l’évolution des natifs d’origine européenne, devenant petit à petit des indigènes s’assimilant aux autochtones et leur ressemblant de plus en plus (mais n’en ayant pas suffisamment conscience, ajoutait-il, le regrettant).


Le préfacier, se référant à William James, distingue les auteurs Once Born et les Many Times Born. Donc ceux nés une seule fois, attachés au pays originel, à une lignée et une culture. Et ceux nés à plusieurs reprises, liés à plusieurs mondes. Pour lui, d’évidence, l’auteur est un Once Born, par son lien viscéral au pays de naissance. Cette fois je n’adhère pas à la distinction de James (adoptée par beaucoup), penseur qui pourtant m’intéresse. Je trouve que cela efface la complexité du vécu, des ressentis, et des choix. La naissance en Algérie, déjà, est en soi plurielle dès le départ. Encore plus quand on est issu d’un couple appartenant à deux origines différentes dans le même pays. Et l’exil ajoute à cette complexité. Enfin la vie de Daniel Saint-Hamont lui fait traverser des bascules identitaires (comme le choix du père changeant le nom familial), et recréer autrement sa fidélité à ce qu’il est. Mais chaque lecteur aura sa perception…

Oui, c’est un livre de transmission, où le double lignage est totalement assumé, sa richesse sue et dite : mère pieds-noirs, père natif algérien, vrai autochtone (comme l’oncle juif d’ailleurs), et devenu officier français. Ce père va vivre, surtout à la fin de sa vie, son exil comme un arrachement douloureux.

Transmission et hymne à la fraternité, dont la force vient de ce métissage parental réussi, et d’une compréhension, d’instinct, de la complexité de l’Histoire passée (ses diverses dimensions et, aussi, beautés souterraines).

L’hommage passe par le portrait de ce père si émouvant (et complexe, lui aussi). Hamyd, devenu tardivement Lionel, dans le sillage du changement de nom. Ce choix, provoqué par un décret qui offrait cette possibilité (comme cela a existé dans l’Histoire, pour d’autres) reste habité par le doute, on sent cela chez le père. Mais c’est une réponse, un message qu’il envoie, légitimant sa carrière, sa nationalité, et renvoyant les racistes à leurs contradictions. Car du racisme il a souffert : les petits signes, les humiliations, les distances. Lisant ce qui est rappelé de ces faits on ressent de la colère devant ces relents de xénophobie, mêlés à l’ostracisme infligé aux exilés venant d’Algérie (et concernant cet homme, sentiment d’injustice, particulièrement).

Daniel Saint-Hamont a raison, au début de son livre, d’engager le lecteur à mesurer la distance historique, pour comprendre cette vie si singulière qui est celle de son père : garder toujours à l’esprit que l’on ne saurait appliquer à des événements survenus il y a des dizaines d’années la même grille de réflexion et les mêmes réactions qu’aux évènements qui adviennent aujourd’hui.

L’auteur mentionne la complexe réalité identitaire de l’Algérie au moment où son père naît. Les populations qui cohabitent, et les origines lointaines des autochtones, qu’il nomme Arabes par commodité, rappelant qu’ils sont en réalité un mélange ancestral de Berbères islamisés ou judaïsés, d’occupants turcs, d’éléments venus du Sahel, etc. Né en 1908 son père vient de là : et né musulman il a gardé une foi sans religiosité (il refusera la présence d’un imam à la fin). Mais, précise l’auteur, son père avait deux Corans qu’il conserva toujours (que son fils a gardés) : et de temps en temps il citait de mémoire des phrases du Livre sacré. (Tout en étant d’accord avec son ami et beau-frère juif, Albert, pour écarter les religions).

La famille paternelle de Daniel Saint-Hamont appartient à ce qui est l’équivalent algérien d’une sorte d’aristocratie. Son père se disait Arabe - façon, pour lui, de se dire Algérien : Mais, en fait, pour mon père l’appellation d’Arabe se confondait finalement avec celle d’Algérien. Et Algérien, ça il l’était jusqu’au bout des ongles, « avec honneur et gloire », comme il disait souvent. Il était amoureux fou de sa terre natale. En mémoire d’une Algérie de fraternité entre les communautés algériennes autochtones. Lien qui demeura pour son père dans l’exil, lui qui, en Algérie, avait, comme ses amis juifs, franchi les frontières qui séparaient les communautés : Français, et Arabes (toujours ce terme par commodité) ou Juifs.

Le père et l’oncle rejetaient donc les religions mais pas la croyance en un dieu universel. Et les cultures liées aux trois religions du Livre étaient donc présentes dans la famille élargie. Toutes les trois me constituent d’une manière ou d’une autre, dit Daniel Saint-Hamont. Une familiarité inter-religieuse qui, ajoute-t-il, a joué un rôle dans ses choix artistiques de scénariste et les explique en grande partie.

Oui, on lui doit notamment, avec Alexandre Arcady, Le coup de Sirocco (tiré de son livre) et Ce que le jour doit à la nuit, à partir du récit de Yasmina Khadra. Et bien d’autres. Des repères d’émotion, ces films.

Pendant la guerre d’Algérie, l’officier qu’était son père a été retenu loin de l’Algérie. Et, conscient de ce qui se passait, il en était troublé, meurtri, déchiré. Quand je lis la page 94, sur les réactions de cet homme, aimant pourtant profondément son Algérie natale, mais ne comprenant pas la séparation radicale entre la France et l’Algérie (Il ne s’en remettra jamais) je pense aux déchirements d’Albert Camus, incompris et méconnu souvent. Ce n’est pas l’indépendance que conteste le père officier, mais les formes de sa mise en place et les Accords d’Évian non respectés.

Le changement de nom, pour la famille, c’est un énorme bouleversement. Sa femme l’a accepté sans enthousiasme, comprenant certainement les motivations complexes de son mari, la détresse que cela révèle et que perçoit bien l’oncle. Tous ont été secoués. L’auteur, d’abord attristé, a fini par s’y habituer, gardant en lui la trace des identités successives. Mais il qualifie ainsi le choix de son père : comme une sorte de suicide blanc. Tout effacer de soi passé.

Même en relisant il y a des pages qui mettent les larmes aux yeux. Comme cette discussion, à Toulouse, du père avec des amis juifs algériens et pieds-noirs. Évocation d’un voyage en Algérie de l’un d’eux. Émotion de tous, bouleversement du père, qui soupire un Ya hassra pour dire le regret. Au point que ses amis se cotisent pour lui offrir le voyage, en cachette de sa femme. Fugue de quelques jours et silence au retour. Ce qu’un des amis traduit intelligemment ainsi : C’est un choc d’aller là-bas. Parce que celui qui t’attend en bas de la passerelle, c’est toi.

Mais effet du choc ou de la vieillesse c’est alors qu’il commence à changer de comportement, à perdre la mémoire, et à en être conscient par instants.

La dernière page sur lui et l’oncle Albert évoque leurs cendres dispersées.

Cependant Daniel Saint-Hamont écrit : Mais tout est-il fini pour autant ?

Je vois dans cette question celle de la mémoire à transmettre, des traces de tous ces êtres sur les deux rives. Et l’espoir de ce que d’autres, qui suivent, pourraient inventer, grâce à ces traces.

Un signe, peut-être, dans ce sens. Le chapitre ajouté, annexe ou ouverture, sur le retour de Roger Hanin en Algérie (Roger rentre chez lui...), inhumé en 2015. Évocation, en de belles pages, de l’Algérie qui ne fut pas toujours une terre de haine et de sang versé, et Algérie qui subsiste. Celle dont la mission est mystérieuse. Et il ajoute : Ce n’est pas une terre comme les autres. Choisissant des expressions comme cette Algérie immatérielle, il offre un portrait d’espoir, foi dans le retour de l’universalité que tentent d’inscrire de jeunes écrivains. Et s’il caractérise l’Algérie comme cette île du Maghreb où passent les dieux (écho camusien, pour moi : Tipasa…) c’est grâce à ce qu’il a reçu de l’ami Roger Hanin, et, beaucoup, de son père et de son oncle.

Si naïveté il y a dans cet espoir (qu’il revendique, car c’est une fidélité) je veux bien la partager. Le possible des temps dépasse la mesure de nos vies et sa gestation est lente.

Recension © MC San Juan

LIENS :

Lionel d’Arabie, de Daniel Saint-Hamont, Orients-éditions, 2020. Présentation : https://www.orientseditions.fr/products/lionel-darabie

Entretien, RFI, par Yasmine Chouaki, document audio (à propos de ce livre) : https://www.rfi.fr/fr/podcasts/en-sol-majeur/20210123-dan...

Daniel Saint-Hamont, fiche Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Daniel_Saint-Hamont

Et le sirocco emportera nos larmes, Grasset, 2012 : https://www.grasset.fr/auteur/daniel-saint-hamont/

Filmographie, AlloCiné : https://www.allocine.fr/personne/fichepersonne-41666/film...

Akadem, document audio. Conférence (Daniel Saint-Hamont intervient). Algérie, terre de mes ancêtres : https://akadem.org/sommaire/themes/histoire/diasporas/les...

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